Après le sympathique virée dans le couloir de roche Paillon, j’accueille Denis et Ludo, deux très sympathiques journalistes de Montpellier pour cinq jours de « stage Mont Blanc ». On débute aujourd’hui par l’école de glace où l’un de mes stagiaires s’illustrera brillemment par son goût pour l’exploration avant de rejoindre le refuge des Ecrins. Dès les premiers instants, le ton est donné, ce séjour sera placé sous le signe de la rigolade. La parole est à Denis.

Récit de Denis

«Happy Birthday, Brother Zinzin. On va fêter ça sur l’aiguille de Bionnassay ??? »

Tout est parti de ce message sibyllin posté fin juin sur Facebook par Ludovic, rédac-chef adjoint au Midi Libre. Ludo est mon « frère » de course à pied. Nous sommes tous les deux, entre autres, finisher de l’Ultra Trail du Mont Blanc, 166km, 9600 m de dénivelé. Une telle folie, ça crée des liens.

Mon surnom, Zinzin reporter, date de cette épopée. Journaliste à France 3, je viens de fêter mes 47 ans.

Ludo, 32 ans est un jeune fou présomptueux. Ce Sétois ne connaît rien à la haute montagne. Enfin si peu ! Il a vécu une petite expérience qui a failli mal tourner en 2009. Sans préparation, sans acclimatation, sans matos, avec 2 autres sudistes, il s’est retrouvé bloqué au refuge Vallot en pleine tempête, 500 m sous le Mont Blanc. Un échec… tout relatif. Il est toujours en vie pour en parler !

Vu notre expérience, Il n’est donc pas question de défier la majestueuse « Aiguille de Bionnassay », passage obligé vers le Mont Blanc si l’on emprunte la voie royale. Bionnassay est une arête de neige impressionnante, un fil de rasoir sur 500 mètres avec du gaz à tous les étages. Ce n’est pas pour nous, pas encore…

« Ok, Ludo, on va le faire ton Mont Blanc, lui ais-je répondu par téléphone, mais on va le faire bien en mettant tous les atouts de notre côté. Cela va nous couter un peu d’argent. Mais j’ai envie de raconter cela au retour à ma femme et à mes 2 enfants »

C’est ici qu’intervient le 3ème larron de cette histoire. 2 semaines auparavant, j’ai rencontré Nicolas Draperi, un aspirant guide dans le cadre d’un reportage sur les Ecrins. J’ai tout de suite apprécié sa personnalité. Ce gars là est l’opposé des guides Chamoniards que je connais. Pas de bling bling, pas de médaille de guide arborée fièrement sur la poitrine, ce Lozérien habitant Briançon a pour lui son humour et son regard mutin. Il m’a impressionné par son côté tranquille, détaché, modeste. C’est l’homme qu’il nous faut.

Nico nous propose un stage en 2 temps : d’abord, l’acclimatation et la préparation technique dans les Ecrins sur 3 jours et 3 nuits en altitude avec école de glace et 2 sommets à gravir autour des 4000 m. Puis, nous tenterons l’ascension du Mont Blanc par les 3 monts, une voie physiquement exigeante et présentant déjà des difficultés techniques pour des amateurs comme nous. L’itinéraire peut aussi être dangereux si les conditions de neige ne sont pas stabilisées. En 2008, 8 alpinistes y ont trouvé la mort suite à une chute de sérac qui a déclenché une gigantesque avalanche sur l’ensemble du versant.

L’avant veille du départ, Ludo m’envoie un mail qui restera dans les annales :

« Qu’est ce qu’il faut prévoir comme tenue le soir dans les refuges ? Est ce qu’il y a des douches ? » Notre Sétois n’a aucune idée de la vie rêvée dans les refuges, la promiscuité, le manque d’hygiène, les odeurs fétides. Je lui réponds par SMS :

« Pour le soir au refuge, tu peux prendre un smoking, puis on regardera la télé avant de sortir faire un tour dehors 😉 Et, pour la douche, Tu préfères l’eau froide ou très froide ? » Ludovic encaisse et m’envoie en retour un « Pov Type » qui fait rire aux larmes Hippo et Léo, mes enfants de 13 et 11 ans.

En fait, Ludovic est un néophyte intégral. Cet honnête coureur de marathon (2h52) aborde la haute montagne comme s’il allait skier une semaine en station. Il n’a pas de sac de montagne, pas de veste Gore-tex ni de pantalon adapté, rien de rien, si ce n’est du cœur et de la bonne volonté. Le summum, il glissera dans son paquetage 5 caleçons mais pas de guêtres. « Ben, je savais pas moi ! » ajoute-il dans un sourire niais.

Célibataire sans enfants, il n’a pas pris le temps de lire dans le détail la liste de vêtements préconisés par le guide, prétextant un manque de temps dû au travail.

Quel toupet ! Un vrai pied nickelé. Il va falloir le surveiller !

Nous avons rendez vous avec Nico directement en montagne le mardi 26 juillet au Refuge du Glacier Blanc au sud des Ecrins. C’est le 1er camp de base situé au dessus de Vallouise à 2542 m. La montée en lacets sur le sentier muletier se passe sans problème. Toutefois, nous sommes légèrement angoissés. Notre programme n’est-il pas trop ambitieux? Et puis, le temps est pluvieux et froid depuis 2 semaines sur la France. La météo va peut-être bouleverser notre programme. Après 2 heures de balade, nous saluons enfin Nico. Il vient de passer la journée avec un couple d’alpinistes à crapahuter dans le couloir Sud de la Roche Paillon.

Il est 18H30. Les gardiennes du refuge nous pressent pour passer à table. Le repas commence. Tant mieux, nous avons faim. Dehors, le brouillard et la pluie bouchent complètement le panorama sur le Pelvoux et les Ecrins.

Mercredi matin, après un réveil tardif (7h00) et un petit déjeuner copieux, il est l’heure d’aller à l’école! Une école un peu particulière cependant : l’école de glace sur les premières pentes du glacier blanc. Il pleut légèrement mais ça reste supportable. Dans un univers chaotique, crevassé et glacé, nous apprenons à marcher avec des crampons et à nous servir du piolet. C’est ludique et très éducatif. Nous sommes de plus en plus à l’aise, surtout Ludo ! Alors en bon sétois, il décide de faire le spectacle.

« Aaaaagh ! ». Après une jolie glissade, le voilà qui plonge tout habillé, piolet à la main dans une sorte de baignoire remplie d’eau glacée. Plouf le Ludo ! Je me précipite pour le tirer hors de la cuvette. Sa jolie veste orange siglée Tour de France est gorgée d’eau et pèse maintenant une tonne tout comme son pantalon de ski, ses chaussures et tout le reste. Ce gars là est un showman et va hériter après son exploit d’un surnom. On hésitera longtemps entre le manchot, le pingouin et le phoque ! Allez, va pour le manchot ! Un seul regret, il ne valide pas tout à fait la baignade puisqu’il n’a pas mis la tête sous l’eau.

Après 3 heures d’ateliers, nous marchons en direction du second camp de base, le refuge des Ecrins (3172 m) en remontant tout le Glacier Blanc. Ca ne s’arrange pas vraiment question météo. Cette fois, il neige. « Nous voilà beaux » comme on dit en Haute Savoie.

Nous sommes encordés et chacun a trouvé sa place. Quand ça monte, Nico est en tête pour nous assurer et nous donner le tempo, Ludo est placé au milieu pour ne pas faire de conneries et moi juste derrière pour garder un œil sur le zigoto de devant. En descente, c’est l’inverse. Je fais la trace en premier et Nico peut, depuis derrière, surveiller ses ouailles en cas de dévissage.

Nous arrivons au refuge des Ecrins vers 14h. Nous sommes trempés et affamés. Heureusement, un poêle fonctionne et réchauffe l’atmosphère. Après une bonne omelette et un plat de pâtes, c’est le moment idéal pour faire la sieste.

L’après midi passe très vite. 18h30, c’est déjà l’heure du diner.

L’équipe du refuge est très sympa. La bouffe plutôt bonne. Le maitre des lieux est Jeannot Faure, le gardien, une bonne gueule qui a le charismatique charme des vieux routards de la montagne. A la fin du repas le silence se fait dans la pièce et Jeannot donne la messe.

« Demain matin, le temps se met au beau mais pas l’après midi. Le Dôme des Ecrins, le couloir de Barre noire, tout ça c’est bon. Ca a été fait, c’est tracé, La neige est tombée mais c’est bon, pareil pour la Roche Faurio » dit-il en regardant par la fenêtre et en faisant des grands gestes avec les mains. « Pour le Dôme, c’est lever à 3h, pour la Roche, lever à 4h ». Silence dans les rangs. Nous écoutons notre hôte religieusement.

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