Salsa pour 3 étoiles

Salsa pour 3 étoiles

2h30. J2 commence bien tôt. On s’ébroue. Pfoudi!

3h15 : après un copieux p’tit déj, on s’élance vers la brêche de la Meije. Dans combien de temps seront nous de retour ici?

Salsa pour 3 étoiles - Vue d'ensemble

Le regel est très bon ça porte nickel! De l’autre côté de la brêche, versant nord, ça brasse forcément un peu plus, la neige est encore poudreuse, 30cm par endroit… On rejoint la rimaye de la face nord sans trop de souci mise à part quelques furtives explorations sous-glaciaires, vite enrayées. Vers 5h30, on est devant la rimaye bien impressionnante : un mur surplombant de neige peu consistante. Ju fait une timide tentative dans l’axe de la voie mais finalement l’issue sera à l’aplomb du départ du Z, 200m plus à droite. Juste un court mur de glace à franchir. Ensuite nous nous déportons vers la gauche pour remonter la rampe mixte à gauche du départ du Z. En 3 très grandes longueurs de mixte (M4 max), nous rejoignons les premières difficultés, un dièdre sombre.

Ce dièdre n’est finalement pas très dur, un genre de V+ en crampons. Les conditions mixtes de la face nous imposent en effet de rester en crampons bien que nous ayons les chaussons au fond du sac. A la sortie de ce dièdre on se rapproche très sérieusement de la Directe Nord. Par crainte de se retrouver dans cette voie, je me laisse embarquer trop à gauche dans une dépression sous un grand « couloir » rocheux. Le problème c’est que cette option nous embarque dans une grande muraille verticale d’une centaine de mètres et ça c’est pas très bon. Un peu de désescalade et tout rentre dans l’ordre. Il faut en fait prendre une goulotte évidente légèrement à droite. A ce moment de  l’ascension on se trouve environ 50-100m à gauche de la Directe.

La goulotte est magnifique! Entre 50cm et 2m de large et jusqu’à 80° de raideur. Nous la remontons en corde tendue avec un piolet chacun… Tout va bien, ça avance! La goulotte vient buter sur un ressaut raide. Nous remontons une cheminée verticale de 30m (6a) puis nous sortons vers la droite en direction d’un bitard bien caractéristique. Quelques doutes sur l’itinéraire : faut dire que les topos sont pas d’une clarté sybilline!

Finalement on prend la bonne option en s’engageant vers ce bitard et en remontant le mur raide au dessus, le crux de la voie (6b, 1 piton en place). Le piton ne se voit que le nez dessus. Pour ma part en tête, j’artife un pas, au niveau du piton. Ju passe en libre. A la sortie du crux, encore un cablé indique qu’on est pas les premiers à passer par là! Dernière longueur de salsa pour rejoindre la vigie par une espèce de traversée ascendante à droite, au plus simple. Il est 12h, on atteint la petite vigie…

La, la course n’est pas finie. La Directe réserve encore quelques beaux morceaux de varappe que les conditions nous imposent de gravir en crampons. Un dièdre en V+ au dessus de la petite Vigie puis on arrive sur les passages clés de la Directe. Une première longueur en bon V ou une petite zipette coûtera à Ju, un peu de la peau de ses doigts. Quand à moi, c’est guère mieux, dans le 6a+ au dessus, sans m’y attendre le moins du monde, je zippe un mètre au dessus du relais choyant lamentablement sur le relais jusqu’à 2m en dessous. Le contact viril entre le rocher et mon fondement sera ressenti jusqu’à la semaine suivante! Semaine pendant laquelle tout matière molle pour poser mes fesses sera la bienvenue!

Enervé comme un cheval blessé, l’égo fracturé par cette chute, je repars illico dans la longueur, artifant dans les règles ce passage clé…. M’enfin quoi on va pas se laisser emmerder par un bout de caillou!

Au dessus quelques longueurs nous attendent encore. Pas toujours évidentes à protéger, ça ne déroule pas vraiment même si c’est pas extrême. En chaussons c’est du IV pas plus mais les dalles en crampons, c’est un peu comme comme faire de la couture avec des gants de boxe, ça prend du temps!

Finalement il est 16h quand nous saluons la vierge du Grand Pic. La joie explose! C’est le panard d’être là et de jour! On ne savait pas trop à quelle sauce on allait être mangés dans cette voie, on s’en tire pas trop mal, c’est de bonne augure pour la suite…

Comme durant les 5 jours de ce trip, le ciel est limpide d’un bleu haut alpin si caractéristique. le doigt de Dieu nous salue. La vue sur les alentours est d’anthologie. On savoure ces instants volés. A la Meije, on est pas complètement paumés : du réseau dans la face et du réseau au sommet. J’en profite pour rassurer Marie qui une fois de plus se demande ce que son énervé de petit ami est encore aller chercher là haut! (Je me le demande parfois aussi après coup mais quand je suis là haut, je sais pourquoi j’y suis!)

Durant  ces ascensions, l’état que j’expérimente me vaudrait d’être classé illico parmi les grands névrosés si je le décrivais à un psychiatre de la vallée! Passés la calme torpeur du matin, toutes mes pensées sont d’abord désordonnées, brêves, chaotiques, mélange d’idées chroniques, de bouffées émotives, de préocupations concrètes du quotidien, d’airs de musiques débiles qui tournent en boucle, de calembours douteux et d’embryons de grandes réfléxions métaphysiques sur le pourquoi du comment? Tout ça se mélange joyeusement à la recherche d’itinéraire, aux bribes de conversation avec son partenaire (quand on le croise!), à la contemplation du paysage et aux problèmes gestuels qui se posent…  Une véritable ratatouille mentale! Sans compter la sournoise lourdeur qui comprime la plupart du temps ces boyaux qui refusent de se vider avant le milieu de la voie. Il peut très bien m’arriver de penser en serrant une petite réglette dans un passage difficile, à l’annonce de covoiturage qu’il faudrait que je dépose tout en sifflotant toutouyoutou… Complètement désuni! Un vrai bordel la dedans!

Heureusement, au cours de la montée, j’ai toujours l’impression que cette ensemble s’épure, que ma pensée devient plus harmonieuse, plus efficace, plus unie avant de cesser d’exister au sommet, dans un pur moment d’allégresse et de plénitude! J’ai l’impression que chaque ascension est un cheminement inconscient qui triture au plus profond de moi, de façon quasi chirurgicale, une sorte d’alchimie étrange qui imperceptiblement me transforme… Pas facile à décrire.

Ouhlà! Flagrant délit de disgression, j’arrête là!

On est bien content d’attaquer la descente par la voie normale de jour, c’est toujours mieux! Première succession de 4 rappels jusqu’au Glacier carré. C’est pas fluide : corde qui coince, on s’emploie! Nous ne sommes pas au bout de nos peines : quasiment tous nos rappels vont foirer dans la grande muraille dont 2 bloqués : yihah! On se régale… Pour garder la forme j’expulse quelques jurons sous l’oeil amusé de Ju, un peu plus calme! Et rebelote dans le Duhamel…. Et p****** de b***** de m*****!

Heureusement plus de rappels ensuite (sauf le pas du crapaud), juste de la désescalade jusqu’au Promontoire qu’on rejoint vers 21h30.

Soupe et bon petit gueuleton de ravioli avant la dose de génépi qui nous rend plus bavard! Première étape accomplie et avec du temps pour se reposer, c’est bon ça! bilan de l’état des bonhommes : Ju s’est bien steacké les doigts et moi ce soir je ne peux pas poser le cul autre part que sur du mou! Nous verrons demain si nous sommes en état de continuer. Je m’endors sur le bouquin de Chapoutot sur la Meije après avoir lu 5 fois la même ligne sans la comprendre….

La suite…

Refuge du Promontoire – Brêche du Rateau

Refuge du Promontoire – Brêche du Rateau

Après une petite vaguelette de froid (de vent surtout) voilà que notre saint oracle nous promet l’anticyclone parfait (en échange du très raisonnable  sacrifice de 1€30 par appel + 34 cents/min). Pas un souffle d’air, un iso oscillant entre 3000m et 3500m  (au demeurant plutôt inquiétant).

Il n’en faut pas plus pour qu’à nouveau les alpinistes tourmentés par leur rêves de faces nord laisse libre cours à tous leurs fantasmes ascensionnels… 2 coups de fils plus tard et nous v’là au téléphérique de la Meije avec Ju en train de charger nos gros sacs d’un maximum d’objets que nous supposons utiles pour les 5 jours qui viennent. Le programme est simple, limpide : enchaîner la face Nord de la Meije et la face NO de l’Ailefroide par 2 voies peu parcourues, probablement jamais en hiver :  Salsa pour 3 étoiles (ouverte par Alain Rougier et Pascal Tanguy en 1985) et le Pilier des Temps Maudits ouvert en 2 temps par Arnaud Guillaume et Pascal Dauger (juin et octobre 97) .

Le trip démarre par une très difficile montée en téléphérique, moyen de locomotion très rare dans nos contrées. La vue sur la Meije est parfaite, on essaye de comprendre par où ça passe mais c’est pas évident, on verra sur place!

On monte jusqu’au Dôme de la Lauze d’où on bascule sur le Vallon de la Selle. Ce magnifique hors piste, souffre un peu sur le haut de la chaleur et du vent… En traversant le plus tôt possible vers la Brêche du Râteau, on réduit au max le déniv’. Nous partons pour 5 jours et déjà, dès les premiers mètres de déniv’,  les jambes sont lourdes… Que se passe-il?

La montée à la Brêche est en neige sauf un court passage en rocher. De l’autre côté ça descend ski au pied. On prend le raccourci qui coupe à flanc en direction du Promontoire, 400m d’économisés. Pas très difficile mais bien exposé… Après cette longue trav’ à flanc on repaute pour 200m jusqu’au refuge… On monte comme des tortues, croulant sous le poids de nos carapaces, en plein cagnard. Même l’escalier du refuge sera gravit en 2 temps! Ca commence bien!

Personne au refuge qui n’a pas été visiblement fréquenté depuis un petit moment. C’est le pied ce Promontoire qui se dore au soleil jusque tard dans la soirée… On est bien! Quelques godets de génep’ nous font presque oublier ce qu’on fout là! On se couche tôt car le réveil va être torride demain à 2h30! Brrr.

La suite…

Mitchka – Grand Pic de la Meije

Mitchka – Grand Pic de la Meije

Mitchka deuxième!

Après les déboires de la tentative précédente une 15aine de jours avant, je retourne avec Seb pour essayer de terminer Mitchka et au passage récupérer ce malheureux chausson que j’ai égaré sur le Fauteuil.

Cette fois ci, nous dormons au refuge du Promontoire où nous sommes seuls avec les gardiens le premier soir.

L’ascension se déroule sans accroc. Forcément vue la fraicheur de ma dernière visite dans le secteur l’itinéraire en bas, je le connais par coeur! Par contre pas la moindre trace de mon chausson sur le Fauteuil malgré 1/2h de recherches. Tant pis, ça aurait été trop beau!

La seconde partie de la voie au dessus de la vire du glacier Carré est vraiment magnifique. Rien à dire! Seul un pas nous échapperas à vue dans le dernier 7a. Sortie au sommet du Grand Pic pour la deuxième fois en 15 jours et encore le même bonheur!

Mitchka – Grand Pic de la Meije – But

Mitchka – Grand Pic de la Meije – But

Mitchka au Grand Pic de la Meije, la voie à la mode de l’été 2010! A peine terminée, cette voie équipée par Christophe Moulin en plusieurs étapes a connu de nombreuses répétitions et des commentaires élogieux. La première partie déjà équipée depuis plusieurs années se déroule sur la partie gauche de la face sud de la Meije, sous le glacier Carré. La partie fraichement ouverte se faufile dans le bastion sommital avant de rejoindre le point de jonction de l’ensemble des voies de la face sud (Pierre Allain, Vaches qui rippent, Dossier du Fauteuil).

Il nous fallait aller voir!

Première tentative avec Sylvain et Raph en cette fin de mois d’août.

Malheureusement cette essai ne sera pas transformé suite à une succession de facheux évènements : perte d’un chausson, section d’une des deux cordes, perte du topo. On n’a fait « que » la première partie jusqu’à la vire et on est sorti par la Pierre Allain pour quand même aller au sommet.

Cette première partie n’est certainement pas comparable au Grand Capucin n’en déplaise à Mr. Cambon mais tout de même très belle avec notamment deux longueurs magnifiques : le 7a et son bidoigt et le 6b avant la vire avec un bon dülfer des familles.

Malgré le changement de programme (les 7a du haut en grosses, je les sentais pas), on s’est régalé. La sortie par la Pierre Allain est vraiment classe et c’est toujours un grand moment que d’arriver au grand Pic.

Pour Mitchka la partie ne fut que courtement remise puisque nous parcourerons la partie supérieure une 15aine de jours plus tard avec Seb : deuxième tentative à Mitchka, Grand Pic de la Meije

Meije Grand Pic – Voie Allain-Leininger

Meije Grand Pic – Voie Allain-Leininger

La Face Sud Directe du Grand Pic de la Meije dite aussi la Pierre Allain est un monument historique de l’alpinisme dans les Ecrins. La voie a été ouverte en deux fois en septembre 1934 jusqu’à la vire du glacier Carré et l’été 1935 jusqu’au sommet. En 1934, arrivés aux vires du glacier Carré, Raymond Leininger et Jean Vernet jugent que la voie est terminée et souhaitent contourner le bastion sommital par la gauche pour rejoindre la voie normale. Pierre Allain lui veut ouvrir une directe mais devra bien pour cette fois se rallier à la majorité. C’est l’année suivante qu’il convaincra Raymond Leininger d’aller achever cette directe qui deviendra par la suite une des plus grandes classique des Ecrins. Il atteindront le sommet à 14h30, horaire qui en dit long sur leurs bonnes qualités de grimpeurs!

Cette directe se déroule sur un rocher excellent de haut en bas et se faufile astucieusement, toujours au plus facile dans cette face.

Pierre Allain qui a donné son nom à cette voie fut un des plus grands alpinistes et grimpeurs français. On lui doit de nombreuses premières dans le massif du Mont Blanc (face Nord des Drus, traversée des Aiguilles de chamonix, 3ème de la Walker, etc…) et des Ecrins (Directe à la Meije, Arête Sud Ouest Pic Sans Nom) ainsi que des expéditions lointaines. Ce Bleausard est par ailleurs le père de quelques inventions : le chausson d’escalade, le mousqueton en alliage léger, le descendeur, le sac de couchage en duvet, excusez du peu! Il a aussi inventé le décrocheur, une sorte de rappel éjectable qui n’a jamais vraiment conquis les foules, bien qu’apparemment très fonctionnel. Bref, une figure incontournable de l’alpinisme.

Tous les amoureux du massif (et pas que) rêvent de parcourir un jour ce monument qui n’a pas pris une ride en 70 ans. L’escalade jamais extrême reste sérieuse avec un bon sac sur le dos. Au fil des répétitions, de nombreuses variantes ont vu le jour mais toutes plus difficiles que l’itinéraire original. Le jeu est donc d’avoir le flair pour passer au plus facile. Le caillou est excellent tant dans les granites jusqu’aux vires du Glacier carré que dans les gneiss au dessus. Tout ça sur le sommet emblématique du massif : une voie parfaite quoi!

C’est avec Ben que je pars gravir cette voie dont nous rêvons tous les deux et que nous avions évoqué lors de notre précédente ascension du Pilier Desmaison au pic de Bure. Nous remontons le long vallon des Etançons, sur lequel regne la reine Meije, pour aller dormir au refuge du Promontoire.

La Meije au fond du vallon des Etançons

La Reine règne sur son domaine

A notre grand étonnement, le refuge est blindé! C’est la soirée de cloture du refuge et de nombreux amis des gardiens sont montés en plus des alpinistes. Ambiance conviviale donc et une nuit dans les combles dans un concert de ronflement et une chaleur torride. Les grands moments de la vie en refuge!

Après cette courte nuit, nous attaquons l’approche par les rappels du Crapaud. En une petite heure nous sommes à l’attaque. Trop gourmand, nous partons à corde tendue à 50m, ce qui n’est absolument pas conseillé quand l’itinéraire tortille. Le tirage finit par avoir raison de notre progression et nous perdons une bonne demi-heure à retrouver une configuration plus adaptée. Nous parcourons l’itinéraire tranquillement et sans souci et débouchons en 7h au sommet, légèrement fourbus par le poids des sacs.

 

Passage en V+ dans la Pierre allain

Passage en V+

Rassemblement au relais avant la cheminée verte

Meeting point

Alpinistes au niveau de la dent Zsigmondy

Alpinistes au niveau de la dent Zsigmondy

Dans le bastion sommital de la Pierre allain

Dans le bastion sommital

Grand moment de bonheur au sommet, à se dorer la pilule et pour la première fois contempler les arètes que nous avons déjà tous les deux traversées mais dans le brouillard!

 

Vue sur la traversée de la Meije

Les arêtes les plus connues du massif?

C’est vraiment le pied de pouvoir savourer l’ivresse d’un sommet et ne pas s’enfuir à peine arrivés!

 

Nico avec la vierge du grand Pic

Marie mon amour

Cette douce béatitude a malheureusement une fin et nous entamons la descente de la voie normale que je connais déjà pour y avoir pris un but avec Jade et Arno. Les rappels s’enchainent jusqu’au Glacier carré.

 

Les rappels au dessus du Glacier carré

Rappels au dessus du Glacier Carré

La désescalade du glacier, en glace sur le haut nous demanderons encore toute notre attention.

 

Désescalade du Glacier Carré

Rester concentré!

Puis nous reprenons les rappels à partir du Pas du chat. En bas nous bifurquons dans les rappels de l’Horreur du Bide, une voie « moderne » que j’avais parcouru peu de temps avant.

En 3h45 nous mettons pied sur le Glacier des Etançons en même temps que les premiers coups de tonnerre et quelques gouttes d’eau!

Nous serons finalement épargnés par l’orage jusqu’à la Bérarde où nous jouissons autour d’une bonne bière de la satisfaction du rêve accompli!

 

 

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