Dôme des Ecrins en 3 jours. Après la Roche Faurio hier, nous montons aujourd’hui en altitude en gravissant le Dôme des Ecrins à plus de 4000m. Parti au milieu d’un bon wagon de prétendants, nous nous retrouvons rapidemment grâce à notre organisation et notre efficacité sans faille en tête de peloton… Le Dôme est d’une beauté sans pareil aujourd’hui avec les 20 cm de fraiche! 3h après le début de la montée, nous foulons le Dôme et nous sommes seuls là haut… Quel bonheur! Malgré le petit vent frais, nous profitons pendant un bon 1/4 heure de l’ivresse des cimes!
Récit de Denis
Cette nuit là est pour moi infernale. Stress, altitude ou qualité de l’eau, je passe la nuit à courir entre ma couche et les toilettes. Ludo me surnomme le Louis Armstrong des Alpes ! Je ne dors quasiment pas et je me lève à 3 heures de mauvaise humeur avec le mal au ventre. Je l’annonce sans détour à Nico déjà attablé pour le petit déjeuner : « Ca ne va pas, j’ai les jambes en compote et j’ai la courante ». Sur ce, je me précipite dans les latrines de l’extérieur, un simple trou qui donne directement sur la face sud de l’éperon rocher. Les toilettes à l’intérieur sont en effet bouchées, les canalisations étant gelées par le froid. Ca commence bien cette journée. Je me mets en mode banzaï, sans respirer ni allumer ma lampe frontale. Ici, il ne faut ni la vue, ni l’odeur !
Vu le monde au portillon, il est important maintenant de speeder un peu pour s’habiller. C’est un moment assez spécial. Malgré l’heure matinale, il faut être super concentré pour ne rien oublier : la frontale, le casque, les crampons, le baudrier, les chaussures, les guêtres, etc. Et tout mettre dans l’ordre sinon, il faut recommencer. Imaginez une chaussure mal lacée sur laquelle on glisse une guêtre puis des crampons et tout à coup, on se rend compte que l’on a oublié de mettre le sur-pantalon, et bien, il faut tout recommencer! Donc, on se concentre et plutôt bien. Nous avons bien préparé nos sacs la veille, ce qui nous permet de partir dans le wagon de tête.
Il fait très beau. C’est un moment inoubliable. Sur la première partie de la course, un petit plat montant rive gauche du Glacier Blanc, nous marchons à la lueur du clair de lune. Il y a des étoiles par milliers. C’est féérique. « Je viens de voir une étoile filante, et là, encore, une deuxième ». J’en profite pour faire toutes sortes de vœux pendant que Ludo se désespère : « Moi, je n’en vois jamais des étoiles filantes. Où est ce qu’il faut regarder ? » J’ai envie de lui répondre « dans ton C.., » mais vu qu’il n’a pas changé de caleçon depuis 3 jours, ce n’est peut être pas le meilleur endroit pour checherr !
Droit devant nous, 700 m plus haut, se dresse, le Dôme des Ecrins tout enneigé. Malgré la nuit, il est bien visible comme une motte de crème chantilly. « On dirait un petit Mont-Blanc » lance Nicolas, très fier de son massif des Ecrins.
Après ¾ d’heure de balade facile sur le glacier, nous entamons le pentu. Enfin, pas tout de suite ! Je dois le confesser, halte à l’autocensure. Je n’en peux plus. Mes intestins vont éclater. Je dois me soulager, là, devant mes 2 camarades compréhensifs bien que tournés dans l’autre sens! Je n’ai presque pas honte. « Mieux vaut perdre un ami qu’une tripe » répète souvent un de mes copains. Après ce que je viens de faire, je crois que je peux partir à la guerre avec mes 2 compagnons de cordée.
Grâce à notre organisation sans faille, nous sommes bientôt les premiers dans la face et nous faisons la trace. C’est très agréable d’être devant non par esprit de compétition mais par confort : on avance à notre rythme régulier sans être fatiguant.
Vers 6h00, le jour se lève et dessine en ombre chinoise notre Mont Blanc à 250 km de là. Nous sommes vernis. Dire que le temps est pourri depuis le début juillet et que nous tombons en plein sur le début de l’anticyclone. Il n’y a aucun nuage dans le ciel et il fait une température clémente, autour de – 5 degrés, sans vent.
7h du mat’ : comme seul au monde, nous atteignons le sommet du Dôme des Ecrins, 4015m. Yipii ! Nous profitons d’un bon ¼ d’heure, seuls là haut avant que les autres cordées n’arrivent. Cela nous laisse tout le temps de nous congratuler, de faire des photos et de profiter des ces merveilleux instants.
« D’ici, nous voyons les ¾ des Alpes » nous apprend Nico, admiratif et pas blasé par le spectacle.
Ce sommet a été vaincu la première fois un 21 juillet 1877 par un certain Emmanuel Boileau, Baron de Castelnau. Eh oui! Un Gardois, désolé pour cette démonstration de force, cher Nicolas de Lozère (Note de Nico : fort bien cher Denis mais votre Gardois tout le monde sait c’est que c’est pas dans les garrigues qu’il a appris à marcher mais bien en allant chercher ses champignons et ses châtaignes sur le flanc du Mont-Lozère!) .
Après avoir bien profité de la féérie sommitale, nous descendons « drè dans l’pentu » comme si nous avions mis des bottes de sept lieues. Je passe en tête de cordée. Nous faisons de grandes enjambées dans la neige fraiche et la descente ne dure pas longtemps. Une vraie aubaine ces quelques centimètres de fraiche qui amortissent confortablement nos pas. J’adore la descente et l’équilibre instable à maintenir comme si avions des skis au pied. Derrière, Ludo tire la langue : « Denis, tu peux aller moins vite, ça me tire sur les jambes cette descente. J’ai mal aux cuisses. Mais bon, ajoute t-il, c’est quand même moins impressionnant que prévu car, à la montée, avec cette pente, je craignais de glisser et de partir en vrille dans les séracs ». Nico dira que notre cordée ressemble à un attelage avec un chien de traineau devant, suivi par un traineau et un mulsher derrière pour diriger le traineau et calmer le chien devant!
L’acclimatation s’est parfaitement passée. A 11h15, nous sommes déjà dans la vallée au dessus de Vallouise, parmi les promeneurs du dimanche. « Bravo les gars, on a pas chôme, dit Nico, je ne pensais pas être là avant 14h. ». Notre guide est fier de ses 2 artistes. Il me l’a avoué quelques heures plus tôt. « Nous faisons une bonne cordée, efficace et rigolote! ». De la part d’un gars de la montagne, qui plus est Lozérien, c’est un beau compliment, surtout à l’adresse d’un Gardois et d’un Héraultais.
Maintenant, il faut passer aux choses sérieuses. Je lui demande : « Et le Mont-Blanc ? Tu crois que nous allons pouvoir le faire demain ? » Nico est partagé. Le créneau météo est avec nous c’est une bonne chose… Mais il doit en savoir plus sur les conditions de neige, c’est un des éléments crucial de cet course. Quelques coups de fil à des amis guides plus tard : « Bon, les dernières chutes de neige ont eu lieu mercredi, depuis il fait beau. Au total il a quand même neigé 60cm de poudreuse sur les 10 derniers jours. La voie des 3 monts n’a pas été fréquentée depuis 2 semaines à cause du mauvais temps. Demain (samedi), les premières cordées tenteront de tracer le Tacul (notre ascension est prévu le Dimanche), Dimanche ça devrait être OK mais comme vous avez un jour de marge, l’idéal serait de décaler notre projet de 24h pour profiter des traces du dimanche et d’une météo encore plus clémente. Je vous téléphone demain matin »
Sur cette parole, nous quittons Briançon, direction la Haute –Savoie via le Col du Galibier. Nous sommes cools avec Ludo, presque libérés par le contre-temps. Ce soir, nous allons enfin pouvoir dormir sans peur du lendemain, sans nous faire du mouron à l’avance. En fait nous craignons par dessus tout l’arête vertigineuse de l’Aiguille du Midi, située juste à la sortie du téléphérique. Pour la décrire, c’est tout aussi simple qu’effrayant. Vous marchez en funambule avec, à votre gauche, 2500 m de vide au dessus de Chamonix, et à votre droite 300m de gaz avec vue imprenable sur la Vallée Blanche. « Ce n’est pas difficile mais attendez vous à une grande ambiance, surement le passage le plus impressionnant de notre ascension, nous a prévenu Nico. Rien d’extrême techniquement : l’arête est d’abord effilée mais horizontale puis 20m un peu plus raides et de nouveau plate. Ne vous en faîtes pas une montagne avec ce que nous avons fait les jours précédents, je ne me fait aucun souci, vous êtes plus que prêts. Et puis rassurez vous, si l’un d’entre vous glisse d’un côté, je sauterai de l’autre pour éviter la chute fatale! » ajoute-il en rigolant. Bizarre l’humour de guide…