par admin | 6 Juin 2015 | Alpinisme, Course de neige, Mont-Blanc, Mont-Blanc, Mont-Blanc - Inominata
Sans même prendre le temps d’une petite bière, j’abandonne mon équipe de Tourangeau à Courmayeur où m’attend Frank…
Après le calme du Grand Paradis, direction la solitude de l’Envers du Mont-Blanc et ses mensurations himalayennes. Frank n’est pas revanchard, mais ce versant qui part deux fois l’a refusé commence à l’énerver! Pour ma part c’est la découverte totale du coin… Un coin peuplé d’itinéraires de grande envergure, de monuments alpins et d’histoires mythiques… Pour nous ce sera l’Innominata.
Les difficultés commencent bien plus tôt que prévu, pour traverser la Doire. Non pas qu’il n’y ait pas de pont, mais qu’un ouvrier trop consciencieux et un chouya pschychorigide refuse de nous laisser traverser, sous prétexte que si nous nous blessons il perd son travail… Pourtant le pont est bien là et la barrière à enjamber nous paraît un bien maigre obstacle comparé aux 3500m de versant qui se développe au dessus de nos têtes! Finalement un p’tit coup de forcing et nous voilà acquitté du détour de 2km…
Première nuit à Monzino dans le confortable refuge d’hiver rien que pour nous… Nous arrivons une petite demi-heure avant l’orage. Nickel!
A ce stade, nous sommes confiants pour la suite, même si les questions se bousculent dans nos têtes : l’acclimatation? Le regel? Les corniches? Les orages? De quoi alimenter de doux rêves!!
Le lendemain, pour monter au bivouac Eccles, on opte pour un départ matinal pensant brasser un peu. Bordé de nouilles sera notre postérieur! La première partie du glacier brasse mais une trace récente nous économise bien de la peine! A partir de 3400m, le regel est aldentissimo et on évolue facilement dans la grâce et l’élégance, accompagné par le doux crissement du crampons sur cette neige parfaite… On ne s’y attendait pas vraiment!
Les piliers rouges du Brouillard… Attirants! Nous croiserons une cordée d’italiens (un guide et son fils) qui après s’être pris l’orage dans les rappels du pilier Rouge décident d’aller essorer leurs chaussures dans la vallée au lieu de sortir le lendemain au Mont-Blanc.
Pleine solitude pour nous donc!
Devant la Punta Innominata
Dans les pentes d’accès à Eccles. Pour nous ça sera le nouveau bivouac, plus confortable que l’ancien, même si le matin ça nous oblige à redescendre.
Petit repérage pour le lendemain.
Et on s’échoue dans notre petit nichoir. Il est 9h, on va pouvoir en profiter!! La journée sera consacrée au repos, à la production d’eau liquide, à la contemplation et à quelques discussions métaphysico-mystico-joviales! Plus prêt des cieux, privé d’oxygène, les cerveaux divaguent!
Notre stratégie pour le lendemain est de partir tôt. Des orages sont annoncés, on veut se garder de la marge d’autant qu’on ne sait pas si on va brasser ou pas! Le réveil est mis à minuit. J’ai mal rien qu’en regardant l’heure!
Minuit : réveil en sursaut pour tous les 2! Quelques secondes pour comprendre où on est et ce qu’on fait là! La nuit déjà très courte fut agitée… On pressent qu’il nous manque quelques globules pour être parfaitement à l’aise! Il y a 3 semaines Frank gambadait à 5000m au Népal, mais 3 semaines c’est justement la durée de vie des globules! Aura-t-il un sursis? Pour ma part, mon acclimatation s’est faite les 3 jours précédents, pas idéal.
1h du mat’, je fixe le brin de 50m qui permet à Frank d’atteindre l’ancien bivouac en un rappel et je le rejoins en mixant rappel et désescalade. La neige n’a pas regelé cette nuit, les orages ont un peu traîné dans la soirée. En même temps il est encore tôt et nous ne désespérons pas pour le regel! Petit brassage donc pour atteindre le col Eccles. Des zones parfaites (neige avec glace pour protéger en dessous) et des zones ignobles. J’aime bien la croûte sur la polenta mais quand c’est dans mon assiette pas sous mes pieds!
Nous aurons droit régulièrement dans la journée à des sessions polenta plutôt courtes quand même au regard de l’itinéraire mais bien éprouvantes!
Du col Eccles, une section mixte facile nous mène au pied du crux, une longueur de 40m comprenant un court passage de Vsup athlétique. Pas dur techniquement mais pêchu le pas! Encore un peu de IV+ dans les 2 longueurs suivantes puis on part à corde tendue en direction du grand couloir non sans quelques sessions polenta et autres samivéleries cornichiennes.
Au petit jour, nous sommes dans le Grand Couloir où les conditions sont excellentes. Bon fumage de mollets quand même!
On traverse en direction d’une rampe qui s’avérera 100m plus bas que la bonne. Petite erreur d’aiguillage qui nous coûtera un peu de temps mais une variante sympa avec un ou deux passages de IV+. De temps en temps on lève quand même la tête pour profiter du lieu…
Pour rejoindre l’arête du Brouillard, on s’attend à une arête facile mais le profil n’est pas si débonnaire que ça!!
Et puis toujours cette polenta qui s’invite de temps à autre…
La dernière pente (150m à 45-50°) verra l’explosion de nos mollets et nous permettra de faire un bilan très clair sur notre acclimatation : pas optimale, on ramasse un peu.
Mais au débouché sur l’arête du Brouillard, la vue sur le Mont-Blanc motive à bloc!
On rame un peu quand même jusqu’au sommet mais sans stress, il fait beau, les difficultés sont derrière nous. Les orages nous ont épargnés et nous avons survécu aux corniches effilées et à la polenta… Alors oui, un poumon de plus ne serait pas de refus mais nous nous en sortirons avec les nôtres!
En tous cas pas de quoi gâcher la joie d’arriver là haut par un si bel itinéraire!
Il est 11h, nous sommes dans le rêve, qui se réalise et de belle manière! Bravo Frank!
Nous savourerons tout ça un peu plus bas. Ici il fait un peu froid pour se poser et nos corps nous réclament de l’oxygène!
On file à bon pas vers le refuge du Goûter. Même si descendre n’efface pas la fatigue, on se sent progressivement revivre, comme un poisson retrouvant son bocal après un petit séjour à l’extérieur! Bonne pause au Goûter où on s’abandonnerait bien à une grasse sieste… On préfère continuer jusqu’à Tête Rousse. Les cumulus au dessus de notre tête sont encore gentils, on descend tranquillement. Arrivés à Tête Rousse, il nous faut prendre une décision. Il n’y a pas de train en ce moment et les options sont soit une descente intégrale à pied, soit un onéreux taxi à Bellevue, soit une nuit à Tête Rousse.
Devant une bonne tarte, nous optons pour une séparation avec Frank. Lui restera à Tête Rousse pour descendre demain quant à moi je me lance dans les 2000m de déniv’ qui me sépare de la vallée. Arrivée aux Houches et pris en stop quelques minutes avant un spectaculaire orage! Un peu plus tard, sur la route du retour vers les Ecrins, je serai contraint de m’arrêter pour laisser passer un orage. Parti pour une courte sieste, je me réveille seulement 9h plus tard après un sommeil quasi comatique!
Au final une belle traversée sud-nord du Mont-Blanc sans moyen mécanique! Un créneau météo quasiment top. Des conditions de neige globalement bonnes malgré la polenta… Des alpinistes un peu acclimatés mais pas trop!
Et un compagnon avec qui j’ai grand plaisir à partir en montagne! Merci pour ta confiance Frank.
par admin | 31 Juil 2011 | Alpinisme, Course de neige, Massif, Mont-Blanc, Mont-Blanc
Fin de notre périple. Préparés techniquement, acclimatés, entrainés aux nuits les plus extrêmes en refuge mes deux guerriers trépignent d’impatience! Nous joignons samedi le refuge des Cosmiques par la très aérienne arête de l’Aiguille du Midi où les deux compères feront encore preuve d’un mental à tout épreuve! Etonnament, le refuge est « relativement » désert… Demain nous sommes trente prétendants au sommet. La plupart se lèvent à 1h…. Nous optons de notre côté pour une bonne grasse matinée avec un levé à 3h. Epaule du Tacul, Rimaye du Maudit, mes deux challengers avalent les difficultés sans broncher! A 9h30, malgré une crevaison dans le mur de Côte, c’est l’apothéose, nous foulons le dôme sommital du Mont Blanc dans une tempête de ciel bleu.
Récit de Denis
Le samedi matin, je me lève serein. Nous avons dormi chez mes parents, dans la vallée de l’Arve, à 50 km de Chamonix. C’est ma première bonne nuit depuis 3 jours… Le coup de téléphone de Nico vient briser le charme : « C’est tout bon Denis. Préparez vos sacs. On monte au Cosmiques cet après-midi. On va tenter l’ascension cette nuit. Rendez-vous 14h au Montenvers».
Nous sommes presque pris de court. « Je m’étais fait à l’idée d’une journée off, se lamente Ludo. Dis, c’est vraiment dur cette arête à l’Aiguille du Midi ? » Je lève les yeux au ciel. Je suis dans la même galère… Nico nous retrouve au parking du Montenvers, tous les deux tendus comme des arbalètes !
16h30, nous arrivons en haut de l’Aiguille (3842m) par le téléphérique. C’est l’heure des braves! Guidé par les consignes de Nico placé derrière nous, je m’élance en tête, pas après pas sur le passage tant redouté. Curieusement, je ne tremble pas. Je suis concentré à l‘extrême. Mes gestes sont sûrs, calculés, mesurés. J’essaie de me raisonner : « Imagines que tu marches sur un sentier étroit dans la forêt. Tu ne vas pas tomber ? Et bien là, c’est pareil. Allez, gentiment Denis, un pas devant l’autre, sans se brusquer. Voilà ». Derrière, Ludo se polarise sur mes 2 chaussures et fait les mêmes pas, sans regarder le vide. Il pense que j’assure comme un chamois. En fait, je n’en mène vraiment pas large. Pour la 2ème fois depuis la Roche Faurio, je lutte vraiment contre ma peur. Pendant ce temps là, Nico nous lance quelques encouragements et sifflote pour détendre l’atmosphère… Après 2-3 minutes de tension, nous pouvons enfin souffler sur une plate forme plus large. Ouf, l’arête est passée, on se détend ! Le refuge des Cosmiques est situé à quelques pas (3613m). Nous pensons que le plus dur est fait. Heureux les simples d’esprit ! Il nous reste quand même 1500m de dénivelé et quelques km pour fouler le toit de l’Europe !
L’accueil au refuge des Cosmiques nous fait regretter notre Jeannot des Ecrins. On s’y était fait à notre petite messe du soir. Ici, nos hôtes semblent assez indifférents à notre devenir d’alpiniste. Par contre, le bâtiment peut être classé dans la catégorie 3 ***. Les dortoirs sont spacieux, le local matos est chauffé et éclairé et il y a même des toilettes et des urinoirs avec eau courante. Que de luxe !
Tout doucement, la tension du lendemain monte… Nous passons notre temps à rigoler. Ici pas un bouquin sur la montagne, étonnant mais en fouinant, je trouve un livre sur le « Mont-Saxonnez », mythe de mon enfance. C’est un village situé sur les hauteurs de la basse vallée de l’Arve prêt duquel j’ai grandi. Ce gros bouquin avec des milliers de photos est une bible. Tout y est. L’auteur est même allé jusqu’à photographier tous les habitants du bourg et des hameaux pour être certain de la vendre. Sur les photos, je vais chercher longtemps sans la trouver « la Marie-Cécile Gros-Gaudenier », championne de ski oubliée de tous, réputée dans les années 80 pour ses descentes rapides, sa petite taille et ses grosses cuisses. Les 2 autres tentent de repérer des jolies filles sur les clichés. Peine perdue, il n’y en a pas en Haute-Savoie ! Ou alors, elles sont tellement mal habillées qu’elles se perdent dans le paysage.
Toutes les pages du beau livre me rappellent mon enfance en Haute-Savoie. La chasse, la pêche, la tradition… Nous parlons aussi politique, culture, gastronomie, société, sport. Le détail de nos conversations restera secret mais d’un grand niveau intellectuel surtout à cette altitude…
Dehors, le brouillard s’est installé et nous ne verrons pas « le splendide coucher de soleil depuis le Refuge des Cosmiques » vanté dans tous les guides. Pire, il neige. Tout cela est inquiétant pour demain. Notre voie envisagée dite des 3 Monts (Mont Blanc du Tacul, Mont Maudit, Mont Blanc) a été tracée aujourd’hui en partie pour la première fois depuis 15 jours. 30 personnes ont le même objectif que nous pour demain. Nico semble réfléchir à la meilleure tactique pour réussir le sommet. « Bon les gars, à mon avis c’est pas la peine de partir à 1h du mat’ avec tout le monde. On est acclimatés, au lieu de prendre le petit déj à une heure, nous allons faire la grasse mat’ jusqu’à 3 heures. On sera plus cool au départ et on profitera de la trace. ». Ouaah, quel plan diabolique ! Trop fort notre guide !
La nuit sera de toute façon très courte. Entre la pression qui monte, l’altitude et les ronflements, il est impossible de bien dormir dans un refuge. C’est comme la dernière nuit d’un condamné à mort. Il y a toutes sortes d’images négatives qui viennent se bousculer dans nos cerveaux. J’essaie de me relaxer en m’essayant à la sophrologie: « Allez Denis, ne pense plus à rien. Ton corps pèse une tonne et s’enfonce dans le matelas. Tu es lourd et ton cerveau est léger. Tu peux te… « Hey Denis, réveille toi, c’est l’heure. Il est 2h45 »
C’est l’heure des braves. Nous parlons peu, tendus vers l’objectif. En 40min, nous sommes dehors, sous les étoiles. Il ne neige plus et la nuit est magnifique. En levant la tête, nous voyons tout en haut de l’épaule du Mont Blanc du Tacul (4028m), les premières cordées parties 2 heures avant nous. Les lampes frontales se mélangent avec la voie lactée. Tout semble irréel, comme en apesanteur. « Regardez les gars, les premières cordées passent l’épaule du Tacul. Le temps est avec nous. Je crois qu’on peut enlever une couche, il fait doux. Allez en route, on essaye de se caler au bon rythme » commande Nico.
En haute montagne, le rythme est important. Ne pas donner donner d’à-coups, avancer régulièrement sans être asphyxié, faire les pauses aux bons endroits et au bon moment…. Tout ça permet de bien gérer son effort. L’idéal en arrivant pas trop tard au sommet est de profiter des meilleures conditions de neige à la descente, avant que tout ça ne chauffe trop. Je demande à Nico à quel heure nous serons au sommet : « Quand tout roule bien avec des gars acclimatés, on compte environ 2h par sommet. Nous pouvons être au Mont Blanc à 9h30. Avec des artistes comme vous je me fais pas trop de souci!»
Après 15 minutes de marche facile en direction du col du Midi (3532m), je trouve son optimisme un peu exagéré : alors que nous abordons les premières pentes du Tacul, une guide chamoniarde toute blonde et ses deux clients germaniques nous déposent sur place. Nous nous écartons de la trace pour mieux les laisser passer. Quels athlètes ! Quelle rapidité ! La bourrasque d’air qu’iles déplacent manquent de nous renverser ! Voilà qui nous remet à notre place.
Hors, cinq minutes plus tard, nous les rattrapons sans changer d’allure, du célèbre pas du montagnard, régulier comme de l’horlogerie suisse. Les deux germains sont asphixiés, suants et les yeux exorbités par cette accélération bien matinale. Nous ne les reverrons pas : « Etrange tactique! nous concède Nico plus tard ».
Dans les premiers 100m, Nico nous fait part de son analyse sur les conditions de neige. « La neige porte bien, pas d’accumulations, c’est bon pour nous ça, on continue! »
La pente est soutenue. Pour moi, la forme est là. Plusieurs fois, je me fais cette réflexion : « Putain, c’est dingue. J’ai l’impression de ne faire aucun effort. Mes jambes pèsent une plume et je n’ai aucun problème pour respirer à cette altitude. C’est bon ça, je dois être acclimaté! » Mais je n’en dis rien à mes collègues devant. Je crains que cela me porte la poisse. Superstition quand tu nous tiens.
Nous ne parlons quasiment pas. Chacun est dans son monde. De toute façon, il faudrait crier pour dire quelque chose aux camarades. Comme nous cheminons sur un glacier, il y a de nombreuses crevasses heureusement bien bouchées par la neige, du coup, nous sommes encordés pour la sécurité à environ 10 mètres les uns des autres.
Un peu avant l’Epaule du Tacul, sur un pont de neige et sous un sérac, des alpinistes ont dressé leur tente pour un bivouac joueur à 4100 m d’altitude. Drôle d’endroit pour faire du camping. « Hello ! » nous lance un gars qui sort de la tente. Il y en a qui ne tiennent pas à la vie…. « Heureusement la plupart du temps la montagne est clémente » commente Nico.
L’épaule du Tacul est atteinte en 1h30. Courte pause. Les premières lueurs du jour embrasent le ciel à l’est. Je me retourne et je perçois encore dans la pénombre en contrebas les lueurs de Chamonix. Nous croisons sans dire mot une cordée qui descend. Qui sont-ils ? Pourquoi abandonnent-ils ? Nous ne le saurons pas.
« Et d’un ! » me dis-je intérieurement en grimpant les derniers mètres du Tacul. De l’autre côté, nous apercevons le Mont Maudit (4465m), notre prochain objectif. Les premières cordées passent la rimaye du Maudit, d’autres sont dans les pentes en dessous et semble littéralement scotchées sur la pente.
Vers 6h00, les premières lueurs du jour nous sortent de la torpeur. Le spectacle est magnifique. C’est un vrai festival de couleurs du bleu au rose, qui colore la neige. Les premiers rayons du soleil, d’une froide tiédeur nous lèchent le visage dans chaque lacet du Maudit. Quel ravissant spectacle pour les yeux! Dans la vallée de Chamonix, 3400m plus bas, il y a du brouillard. « Encore une mauvaise journée en montagne » doivent se dire les touristes en levant les yeux. Encore une fois, nous avons de la chance avec la météo. Pas le moindre nuage à l’horizon!
«Regardez là bas, c’est le Mont Rose et le Cervin en Suisse. » nous montre du bout de son piolet Nicolas. « Ouais bof, je lui réponds, jette plutôt un coup d’œil de l’autre côté, il y a les Aravis, le Jalouvre, Mont Saxonnez et sa majesté Môle ». Ces montagnes sont inconnues mais elles ont rythmé mon enfance dans la vallée de l’Arve. Ce sont des sommets modestes de 2000m à 2500m, des géants quand j’étais petit, des nains vus d’ici. Nous rencontrons deux autres cordées qui rebroussent chemin. « Nous avons le mal des montagnes » nous apprennent ces italiens rencontrés hier au Cosmiques.
Au bout d’une heure trente sans difficulté, nous atteignons enfin le passage délicat du Maudit. Sur 100 m, la pente se dresse jusqu’à 50° degrés. Il faut l’attaquer de face, planter le piolet dans la neige sans faiblir et enfoncer les crampons par les pointes de devant. Nous sommes presque à la verticale, debout sur nos jambes. J’entends parler de ce passage depuis une bonne décennie. Stéphane, mon petit frère, est passé par là et m’a souvent fait peur avec cet endroit. Aujourd’hui, les conditions sont vraiment bonnes : la pente est entièrement en neige, une neige qui porte bien et il n’y a pas de glace qui affleure. Étonnamment, je ne tremble pas. Au contraire, j’adore cet effort où il faut être concentré à l’extrême. Il y a 1000m de vide au dessous. Je crois bien que je suis fait pour ce genre d’effort.
« Et de deux ». Arrivés en haut, nous doublons un groupe de 10 russes. Droit devant nous, enfin, le Mont Blanc. Il paraît si proche vue d’ici mais, vue l’altitude, il nous reste le plus dur à parcourir. Nous descendons vers le col de la Brenva (4303m) avant d’attaquer le redoutable Mur de la Côte ou les prétendants au Mont Blanc payent cash les efforts consentis dans les bosses précédentes et le manque d’acclimatation. Que de larmes ont du être versées dans ces 500 derniers mètres ! En jetant un oeil sur le Mont Blanc, il n’y a aucune trace qui arrive au sommet. Trois cordées partis ce matin au premier réveil sont juste devant nous en train de lutter dans le Mur de Côte. Les autres, sont derrières nous ou on renoncé. On va être tranquille là-haut. On parle souvent du Mont-Blanc comme d’une autoroute. De notre côté aujourd’hui c’est plutôt route de campagne. Certes, sur l’autre voie à droite, celle du Goûter, la plus courue, il semble y avoir un peu de monde. Mais cela reste raisonnable.
Dans le Mur de la Côte, mon Ludo donne quelques signes de fatigue. « Les gars, un peu moins vite, je commence à être sec. J’ai faim aussi » annonce t-il. Nous nous arrêtons plusieurs fois mais le rythme est toujours bon. Nous dépassons 3 autres cordées et il n’y a, désormais, plus personne devant nous. « Je savais bien que j’avais à faire à des challengers » dit Nico en rigolant pour encourager Ludo. Le Sétois est courageux mais son souffle est de plus en plus court. « C’est tout a fait normal, le rassure Nicolas, nous sommes quand même presque à 5000m. Allez plus que 200 m et nous sommes en haut. On y va tout doux ». Ces derniers mètres de dénivelé seront terribles!
Comme je suis placé dernier de cordée, derrière Ludo, je bute sans cesse sur ses pas moins rapides ou lorsqu’il s’arrête. Même si cela casse le rythme, j’apprécie de plus en plus les arrêts à chaque virage. A 100 m du sommet, je commence à avoir mal à la tête. Cela ne me quittera pas avant quatre bonnes heures !
9H40, « et de trois ! ». Nico filme notre arrivée en haut du toit de l’Europe. Nous sommes au ralenti sur les derniers mètres, tous nos pas semblent comptés et nous évoluons comme dans du coton. « A cette altitude, non acclimaté nous perdons 30% de nos capacités physiques et intellectuelles. A cause du manque d’oxygène, notre cerveau est mal irrigué, tout comme nos muscles ». A la réflexion, ce n’est pas désagréable. Rien ne semble réel. Il manque simplement des bouts de je ne sais quoi. C’est probablement cela qui explique la qualité déplorable de la vidéo enregistrée par l’appareil de Nico.
L’arrivée au sommet du Mont Blanc est un soulagement. C’est presque aussi un peu décevant. Tout est minuscule autour. D’ici, l’Aiguille du Midi ne ressemble pas à une aiguille mais à un aimable et petit rocher. Le Mont Blanc écrase tout et c’est finalement assez triste de voir… qu’il n’y a rien au dessus! Forcement, il n’y a pas de vue sur… le Mont Blanc et il n’y a plus de repères au loin si ce n’est une mer de nuages, à l’infini. Bon, je suis un peu rabat joie, cela reste très beau et unique!
Nous méritons une bonne halte sur le belvédère du sommet, assez large pour être totalement en sécurité. Nous cassons la croute et profitons du paysage malgré un petit vent de 20 km/h. Cela n’a l’air de rien, mais à cette altitude et même avec une température légèrement en dessous de zéro, nous nous refroidissons assez vite. J’ai déjà atteint les 4810 m en 2004 lors d’un reportage télé et j’avais ressenti la même envie de repartir rapidement. Les hélicoptères de touristes tournoient au dessus de notre tête en nous faisant coucou ce qui a le don d’énerver Nico, notre bon samaritain. Triste spectacle typiquement Chamoniard. C’est vrai, y’a plus de respect ma pauvre dame. Nous sommes des summiters nom de nom, pas des singes à qui on balance des cacahouètes !
Au sommet, Nico nous expose les deux options que nous avons pour descendre. Soit demi-tour et redescente par la même voie, soit on redescend par la voie normale ce qui nous permet de faire une jolie boucle. Il nous prévient que cette option est quand même plus longue que l’aller retour et qu’il va falloir passer par le couloir du Goûter dans lequel il sait que j’ai vécu l’an passé une expérience traumatisante.
Lors d’un autre reportage, en s’écartant légèrement du chemin, un alpiniste danois a dévissé juste devant moi dans cette caillasse pourrie. Une chute mortelle de 50m. J’ai été traumatisé par cette mort en direct. Le souvenir de ce corps désarticulé qui bascule dans le vide me hante toujours. L’homme était fatigué par l’ascension et redescendait au moment de glisser. L’accident s’était déroulé au ralenti sous nos yeux sans que l’on puisse tenter quelque chose. Ce qui me frappe le plus avec le recul, c’est l’absence de son au moment de la glissade. Le gars n’a rien dit, pas un cri, rien. En revanche, le guide m’accompagnant avait fondu en larme en criant : « ce n’est pas possible, non, ce n’est pas possible, arrêtez vous, arrêtez …». Tout cela me revient en mémoire. C’est douloureux. Vraiment, l’endroit ne me plait pas du tout. Il sent la faucheuse à plein nez.
Bon, il faut maintenant redescendre le Mont Blanc. Nico nous prévient : « Quand on atteint un sommet, nous ne sommes qu’à la moitié du chemin et ce qui nous reste est parfois plus compliqué avec la fatigue. Le sommet est atteint mais la course se finit au bistrot dans la vallée. Restez bien concentré pour la descente » Dans mes souvenirs, le début est très facile. Comme je suis premier de cordée dans le sens de la descente, je m’élance d’un bon pas quand tout à coup, je fais un refus, comme un cheval devant un obstacle trop grand. « Euh, non, là, je ne le sens pas tout. Je ne veux pas passer par là, c’est trop dangereux ». Droit sous mes pieds, l’arête des bosses. D’un côté, à gauche, l’Italie et 2000m de gaz, de l’autre les pentes raides vers les séracs des grands Mulets.
Subitement, avec la fatigue accumulée, le mal de tête et un début de vertige, je ne me vois pas, mais alors pas du tout, avancer debout sur cette corniche étroite qui serpente au dessus du vide sur plusieurs dizaines de mètres. Nico me rassure : « Allez Denis, ne t’inquiètes pas, c’est moins dur qu’à l’Aiguille et ça se calme vite. Vas-y tranquille et assure chaque pas. Vous êtes bien assurés. » Comme Ludo, derrière, a l’air placide, je me lance, en marchant comme un petit vieux sur l’arête. Certes, ça passe mais ce n’est pas mon truc. Mais effectivement, c’est pas long…
Très rapidement, nous dépassons le refuge Vallot (4382m, l’œuvre de Joseph Vallot, un savant héraultais du XIXème siècle), puis le Dôme du Gouter pour arriver vers le refuge éponyme. Nous sommes fourbus et nous n’avons plus rien à boire. Nico veut aller nous acheter des cocas : «Ouais, ben, on va attendre d’aller au refuge de Tête Rousse plus bas car ici, c’est du vol, le coca est à 5 euros et de toute façon les gardiens ne sont pas là!»
La descente des 700m de dénivelé dans l’aiguille du Goûter est fastidieuse. Il y a beaucoup trop candidats au Mont Blanc par cette voie. Comme demain, la météo annonce encore un temps magnifique, l’endroit est sur fréquenté. Et chouette, c’est le plus dangereux du massif avec le plus fort taux de mortalité ! « Autant de débutants concentrés sur un si petit espace, ça laisse réveur… commente Nico ». Nico nous assure toute la descente au milieu des bouchons. Ludo m’inquiète. Il semble exténué. Son visage est tout blanc, perlé de sueur et surtout, son pied est de moins en moins sûr. Il met beaucoup de temps pour passer d’un rocher à l’autre et souvent cela me tire en arrière vu que nous marchons encordés. Bon, ça finit par passer et le couloir final, tant redouté pour les chutes de pierre ne pose aucun problème. Les cailloux sont encore bien fixés grâce à la neige qui tapisse la pente. Petite pause restauratrice à Tête Rousse, ça fait du bien…
Après encore 1h de descente par un chemin de mule, nous arrivons enfin au Nid d’Aigle (2372m) pour prendre le petit train qui va nous ramener dans la vallée. Il est 16h00. Je suis fatigué mais je n’ai plus mal à la tête. Tout s’est bien passé, comme dans un rêve. Je m’endors dans le train….
Trois heures plus tard, nous buvons une bonne mousse au bar des Sports, rue Joseph Vallot à Chamonix. L’occasion d’évoquer les bons moments passés ensembles et de débriefer sur cette semaine. Tout a été crescendo : le retour du beau temps, les difficultés techniques, la montée en pression… Parfait ! Il est temps de payer notre metteur en scène qui s’en retourne vers ses calmes Ecrins. Je dis à Ludo : « Tu vois mon pote, ça, c’est de l’argent bien dépensé. »
Merci à Nico pour sa compétence et sa joie de vivre.
Merci à Ludo pour être le meilleur compagnon de cordée au monde (à part dans l’aiguille du Goûter !)
Merci à mes parents et à mes frangins pour leur soutien et leur humour.
Merci aux deux gamins Clerc et à ma femme Sandrine de m’avoir laissé vivre cette belle semaine en montagne.
! En attendant le récit complet par Ludo et Denis, voici déjà quelques photos de l’ascension…