Bonne petite mission en face Nord du Pic sans Nom avec misteur Loste himself pour aller « répéter » la voie la plus médiatique du moment!! Au final on sait pas trop comment l’appeler cette combinaison : la Prestige Russemberger Kavarec? La Georges des Ecrins?
Tout d’abord prenons un peu de recul pour une mise en perspective de certaines polémiques alimentées (pas très longtemps) par quelques forumeurs excités du clavier…
Ceci est la Voie Lactée, notre galaxie parmi des milliards de galaxie et le rond jaune indique notre système solaire.
Au sein de ce système solaire, une planète ellipsoïde principalement composée de fer et d’oxygène a réuni les conditions pour qu’émerge il y a plus de 4 milliards d’années des formes primitives de vie, probablement sous forme de protéines codantes voisines de l’ADN…
… quelques milliards d’années plus tard, après un lent processus d’évolution, la terre et la vie ont bien évolué. Des continents entiers se sont déplacés, des chaînes de montagne se sont érigées avant d’être érodées, le magnétisme des pôles s’est inversé de nombreuses fois et notre soupe de protéines a évolué en de nombreuses formes nettement plus complexes.
Parmi ces formes nous trouvons l’humain.
Certains humains qui finiront en poussière et nommés alpinistes aiment à gravir les montagnes qu’ils nomment et qui finiront en sable et minéraux au fond des océans.
Bref sur une particule d’univers, des formes de vie qui n’avaient à priori aucune chance d’exister grimpent des futurs tas de sable par des lignes éphémères…
Afin de ne pas se faire aspirer par ce grand tourbillon métaphysique, l’humain essaye de donner du sens à tout ça en décrivant et classant le monde. Le même travail qu’entreprirent les shadocks en leur temps. Ranger, nommer, décrire, expliquer, classifier. Mais les humains ne sont pas tous d’accord sur la façon de faire. Les montagnes n’échappent pas à cette folie.
Entre le 19 et le 21 octobre 2015, trois alpinistes, solidement constitués, rompus aux techniques de survie dans du M6+, maîtrisant l’art du bivouac improvisé et de la danse du soleil, ne craignant ni les spindrifts, les couplages de broches et la nourriture lyophilisée, parviennent à surmonter les difficultés d’une ligne éphémère d’eau solidifiée sur un sommet nommé Sans Nom. Et ils sont probablement les premiers à passer par là. Leur joie est grande.
A leur retour après une bonne douche ils s’empressent de faire part de leur première à leurs congénères. Grâce à un subtil codage binaire, ils émettent leur message pour diffuser leur information sous forme de mots et d’images. Convertis en impulsions électriques ou en onde et grâce à d’autres récepteurs, les rétines d’autres humains décodent le message qui après traitement par leur cortex produit à peu près la même réaction chez la plupart des congénères : « Bravo les gars! ».
Pourtant, certains humains semblent remettre en question la primeur de ce parcours avec quelques « maigres » arguments à l’appui.
Et si on décidait simplement qu’on en a rien à foutre? Que pianoter sur un clavier est aussi inutile que de gravir une montagne, sauf pour celui qui le fait… que l’on donne le sens que l’on veut à tout ça et qu’en définitive tout ça n’a aucune importance?
Alors oui c’est vrai, certains alpinistes modernes aiment à exciter les rétines d’autres humains car cela leur permet éventuellement de tourner encore plus leur vie vers les montagnes, d’obtenir quelques outillages nécessaires à l’ascension d’autres édifices minéraux, où ils se dépasseront, auront faim et soif, vivront de belles histoires d’amitiés la goutte au nez et nourriront leurs âmes et leurs égos. Mis à part les questions d’outillages, je me classe volontiers dans cette catégorie.
Puisse seulement les Ecrins garder leur charme et leur discrétion!
—————————————
Bref nous en tous cas, nos rétines elles ont été bien excitées à la vue de cette belle ligne. Je ne pensais pas avoir l’occasion de la parcourir cette année. Pas vraiment entraîné, pas de pote de cordée disponible et milles petits chantiers à terminer…
Après le parcours des copains guides d’écrins prestige, le ver montagnard s’installe dans mon petit cerveau de suceur de face nord et l’idée d’aller y faire un tour ne me quitte plus!
Ju rentre du Sri Lanka… Après un mois de vie sous les tropiques, il est bien détendu!! Je lui tombe dessus avec ce projet et bien sur il s’emballe tout de suite! Avec nos agendas de papas, nous ne pouvons pas y aller avant 5 jours… Impeccable! Comme ça on peut se préparer… Bon grimper dans du dur, ça fait des mois qu’on a pas fait, on laisse tomber c’est trop tard… On opte pour deux balades grimpantes pour faire un peu de dénivelé et dérouler dans du 5… C’est du souffle et des mollets qu’il faut!!
On profite de ces journées pour glaner de l’info auprès des copains (Ecrins prestige) et les répétiteurs (merci Tough)… La vue de la « cueva » creusée par Tough et Antoine nous motive bien!!
Mardi 10 novembre, c’est parti. Nous décollons à 3h15 du Pré de Madame Carle avec nos sacs chargés de ferraille, de textile, de plumes d’oie et de substances potables et comestibles. D’après les infos que nous avons le bivouac semble incontournable…
Ca a pas mal rodé dans le secteur ces derniers temps. La trace jusqu’au pied du Pic Sans Nom est excellente. Nous brassons un peu dans le replat au pied de la face mais dans les pentes crevassées c’est de nouveau bon.
6h30 nous sommes à la rimaye où nous retrouvons le bâton de papi Brochard.
J’attaque la traversée qui permet de rejoindre le début des difficultés. Les traces de Jonathan et Antoine ainsi que celles des Espagnols et des Italiens sont visibles. Petit démêlé avec la corde pour bien commencer la journée. No stress, ça va le faire!
Au départ de L2 (bon becquet avec une sangle laissée par les italiens qui ont réchappé après leur premier bivouac). Il fait encore sombre. On temporise. On s’organise et on satisfait tout ce qui peut l’être.
7h25, c’est parti. J’attaque la longueur. Au pied de ce ressaut quasi vertical, je feins d’être détendu mais les questions fusent dans tous les sens dans ma petite cervelle : « Suis-je à ma place ici au pied de ce tas de caillou et de glace vertical? ». Les débuts sont hésitants. Je monte un mètre, redescend. Deux fois. Ju m’encourage et je sens qu’il doute aussi. Puis gentiment la mécanique se met en route, les questions s’évaporent, une réglette par ci, un piolet par là… Le plus dur c’était de démarrer!
Les conditions sont excellentes dans la longueur! Pure neige couic et de bonnes protections pas trop dures à trouver. Tout ce qu’il faut pour une pure régalade!
8h05 : relais! On hisse le sac lourd avec le deuxième brin, c’est notre « stratégie »! Comme ça le premier grimpe sans sac dans les longueurs dures. Comme on a pas pris de brin de hissage, le sac est un vrai compagnon de cordée à ceci près qu’il ne sait pas enlever les protections et se décoincer tout seul! Le second a donc en charge en plus de grimper, de gérer les frasques du sac… plutôt très coopérant ce jour!
8h20 : nous sommes tous les deux au relais boosté par cette première très belle longueur de 30m et les conditions bien prometteuses!
Ju enchaîne sur la suite, un départ finaud pour rejoindre un dièdre en parti englacé. Ju se mets en route et déroule. Bonnes protections, on se fait pas peur.
9h20 : tous les deux au relais 60 mètres plus haut (relais équipé par les italiens lors de leur réchappe, il y en a un aussi à mi longueur), confiant pour la suite!
Un peu de mixte au dessus et on arrive au premier névé lieu du bivouac des « ouvreurs ».
J’enchaîne sur les placages de glace. Le vent du nord a un peu séché la face, ça fait moins de nettoyage mais les placages s’amincissent!! Je me résout rapidement à ne plus trop mettre de broches puisque celles-ci butent sur le caillou après seulement quelques centimètres de course… Débranchage de cervelle. Comme d’habitude, lorsqu’on en aurait besoin les pitons se trouvent au fond du sac ou 60m plus bas au baudrier du copain!!
Les conditions excellentes permettent de se lâcher et d’exposer sereinement. Passé le premier placage je bétonne comme je peux, je pose deux tiblocs et on file corde tendue.
Ju prend le relais 100m plus haut pour amorcer la courbe qui nous amène vers le bivouac. Encore des placages exposés et toujours des conditions démentes!
12h : nous sommes au bivouac dit de la « cueva ». C’est là qu’on pensait dormir!! Il reste 6 heures de jours, l’effet du sous-entraînement commence à se faire sentir mais l’envie de continuer est trop grande!! Nous prenons 3/4 d’heure pour nous restaurer et reconstituer nos réserves d’eau à sec puisque nous avions prévu juste ce qu’il faut pour venir jusque là…
12h45 : c’est Ju qui repart dans la longueur de M5+ ou 5c de la Russemberger. Après quelques hésitations Ju opte pour de la bonne grimpette à l’ancienne, sans crampons ni piolet, croise un piton et relaye sur une terrasse de neige.
On laisse au dessus de nous la variante en dry des ouvreurs et on continue par la Russemberger à gauche. L’occasion de sortir les fesses (et de les serrer) dans cette petite dalle psycho avec les pieds sur des petites bossettes verglacées, protégé par le plus micro de nos camalots! Sinon 4c en chaussons!
Suis un couloir de rocher beaucoup plus sympathique à grimper maintenant qu’en été je suppose!
Je relaye au départ de la longue traversée des gueux. En fait ça ne fait pas que traverser, ça descend aussi par moment. L’ambiance est de plus en plus prenante et les protections de moins en moins bonnes sur la fin de la traversée… Un excellent becquet permet de relayer sereinement.
15h25 : c’est fou comme le temps s’échappe dans ces faces nord! Je repars dans une section raide de placages dont une partie quasi verticale en neige couic.
Tout ça au dessus du grand surplomb sur lequel vient mourir la ligne de placages que nous remontons. Ca laisse pas tout à fait insensible. Je n’essaye quasiment plus de mettre de broches. On trouve d’excellentes protections dans le rocher mais souvent espacées de 10m ou plus… Une grande longueur de 80m me permet de relayer sur 3 broches correctes au pied d’une belle goulotte. Ju prend le relais.
Une longueur de 60m et d’autres placages nous attendent. Je repasse devant. Rien d’extrême mais toujours des difficultés à protéger correctement. Quand l’escalade ressemble à du solo! Maman ne t’inquiètes pas les photos sont toutes truquées!!
Je bétonne dès que je peux, deux ti-blocs et nous filons à corde tendue dans un système de goulottes puis de rampes ascendantes vers la gauche pour aller le plus haut possible avant la nuit.
Il est 18h quand nous nous affalons au pied de la goulotte sommitale. La nuit nous prend, la pause s’impose! Nous aurions su nous serions partis beaucoup plus léger et à cette heure là on serait peut-être déjà en train de se pavaner au sommet!
Nous prenons une heure… Faire un break… Débrancher le cerveau, sortir un peu de l’univers des placages, s’extraire… Nous gloutonnons les 500 grammes de pâtes. Pas lyophilisées du tout. Bien lourdes, mais bien bonnes!! Puis tout ce qui passe, biscuits, fruits secs, du thé… Faut dire qu’on a deux jours de bouffe avec nous et même un peu de rab, alors on peut se lâcher. On refait quelques réserves d’eau pour le finish. On est rousti mais ultra motivés par l’idée de bivouaquer au refuge du Pelvoux. Je chante à Ju une chanson d’amour en espganol. Ju aime l’espagnol mais je suis pas sur qu’il apprécie autant ma voie!!
19h : en selle Marcel. On remonte en 2 grandes longueurs by night la goulotte de glace fossile qui descend de la brèche. Pour le coup les broches nous servent enfin!!
20h30 : c’est fait! Après l’interminable goulotte terminale, nous nous embrassons au sommet! Trop de bonheur! De l’autre côté on voit les lumières de la vallée, la vie d’en bas qui se rappelle à nous. Un coup de fil aux copines surprises et rassurées! Merci les filles de nous laisser faire mumuse dans la montagne!!
Le vent soutenu (50km/h) en haut de la voie nous encourage vers la descente. Nous n’avons maintenant plus de doute, ça sera dodo au Pelvoux!
3-4 rappels, bandes de neige puis on descend au feeling de nuit dans une gorge surplombante en 3 rappels et un peu de désescalade. La fatigue commence à bien nous gagner et tout devient lutte : marcher, lover la corde, décoincer le matériel qui se coince, les nœuds qui se font, le sac qui fait mal, les cailloux qui roulent sous le pied… aïe aïe aïe…
Minuit : titubant, on pousse la porte du Refuge du Pelvoux, complètement déchenillés! Nous savons que la plus grosse erreur à commettre serait d’aller au lit direct sans boire ni manger. Alors on tient devant le réchaud. On ingurgite ce qu’on peut avant un bon petit coma des familles jusqu’au lendemain!
———————————————————–
Quelques détails techniques pour les suivants : moyennant des conditions excellentes comme celles qu’on a eu, le parcours à la journée est une base!
Nous avons mis 14h de la rimaye à la sorte sachant :
- que nous avons fait fait une pause d’une demi-heure au pied de L2
- que nous avons passé 3/4 d’heures à faire de l’eau au bivouac de la cueva
- que nous avons passé une heure à manger et faire de l’eau au pied de la goulotte sommitale
- que nous avons trimballé environ 3 kilos chacun de matos inutile qui a bien pesé sur les sacs.
Une cordée bien rodée, pas trop chargée et en forme doit pouvoir sortir en 10h à la brèche.
Pour le matos : nous étions trop chargés!! Nous sommes partis avec deux jeux complets de camalots du 000 au 1 plus le 2 et le 3. 10 broches. 4 pitons. 5 sangles. Un ballnut. Nous avons systématiquement fini les longueurs avec beaucoup de matos au baudrier. Les pitons n’ont pas servi. Et nous avons rarement posé plus de 5 broches par longueurs vu l’épaisseur des placages (sauf pour la goulotte terminale ou on mis les 10 broches mais en corde tendue, il y a moyen de fractionner en plusieurs longueurs et de protéger dans le rocher).
Dans ces conditions nous pensons que le matériel suivant suffit :
- un jeu complet de camalots jusqu’au 2 en doublant le petit jaune, le bleu et le violet
- 8 broches
- 2 pitons lames
- un ballnut (pas indispensable mais comme on l’avait il a servi)
Bravo à la cordée … magnifiques images plutôt impressionnantes mais aussi envoutantes.
Et heureux de voir que tu as toujours l’envie de te confronter à ce type d’aventure.
Décidément les arrivées tardives au refuge du Pelvoux deviennent une habitude 🙂 mais sans faux espoir d’1 bon repas préparé par le gardien cette fois-ci.
Quant à l’introduction du compte rendu je la trouve excellente et pleine d’humour comme d’hab même si tu aurais eu droit aux remarques de mon prof d’histoire que me reprochait souvent de trop remonter le temps!
Bonne petite tranche de rire, et belle voie ! Merci !