La Face Sud Directe du Grand Pic de la Meije dite aussi la Pierre Allain est un monument historique de l’alpinisme dans les Ecrins. La voie a été ouverte en deux fois en septembre 1934 jusqu’à la vire du glacier Carré et l’été 1935 jusqu’au sommet. En 1934, arrivés aux vires du glacier Carré, Raymond Leininger et Jean Vernet jugent que la voie est terminée et souhaitent contourner le bastion sommital par la gauche pour rejoindre la voie normale. Pierre Allain lui veut ouvrir une directe mais devra bien pour cette fois se rallier à la majorité. C’est l’année suivante qu’il convaincra Raymond Leininger d’aller achever cette directe qui deviendra par la suite une des plus grandes classique des Ecrins. Il atteindront le sommet à 14h30, horaire qui en dit long sur leurs bonnes qualités de grimpeurs!
Cette directe se déroule sur un rocher excellent de haut en bas et se faufile astucieusement, toujours au plus facile dans cette face.
Pierre Allain qui a donné son nom à cette voie fut un des plus grands alpinistes et grimpeurs français. On lui doit de nombreuses premières dans le massif du Mont Blanc (face Nord des Drus, traversée des Aiguilles de chamonix, 3ème de la Walker, etc…) et des Ecrins (Directe à la Meije, Arête Sud Ouest Pic Sans Nom) ainsi que des expéditions lointaines. Ce Bleausard est par ailleurs le père de quelques inventions : le chausson d’escalade, le mousqueton en alliage léger, le descendeur, le sac de couchage en duvet, excusez du peu! Il a aussi inventé le décrocheur, une sorte de rappel éjectable qui n’a jamais vraiment conquis les foules, bien qu’apparemment très fonctionnel. Bref, une figure incontournable de l’alpinisme.
Tous les amoureux du massif (et pas que) rêvent de parcourir un jour ce monument qui n’a pas pris une ride en 70 ans. L’escalade jamais extrême reste sérieuse avec un bon sac sur le dos. Au fil des répétitions, de nombreuses variantes ont vu le jour mais toutes plus difficiles que l’itinéraire original. Le jeu est donc d’avoir le flair pour passer au plus facile. Le caillou est excellent tant dans les granites jusqu’aux vires du Glacier carré que dans les gneiss au dessus. Tout ça sur le sommet emblématique du massif : une voie parfaite quoi!
C’est avec Ben que je pars gravir cette voie dont nous rêvons tous les deux et que nous avions évoqué lors de notre précédente ascension du Pilier Desmaison au pic de Bure. Nous remontons le long vallon des Etançons, sur lequel regne la reine Meije, pour aller dormir au refuge du Promontoire.
A notre grand étonnement, le refuge est blindé! C’est la soirée de cloture du refuge et de nombreux amis des gardiens sont montés en plus des alpinistes. Ambiance conviviale donc et une nuit dans les combles dans un concert de ronflement et une chaleur torride. Les grands moments de la vie en refuge!
Après cette courte nuit, nous attaquons l’approche par les rappels du Crapaud. En une petite heure nous sommes à l’attaque. Trop gourmand, nous partons à corde tendue à 50m, ce qui n’est absolument pas conseillé quand l’itinéraire tortille. Le tirage finit par avoir raison de notre progression et nous perdons une bonne demi-heure à retrouver une configuration plus adaptée. Nous parcourons l’itinéraire tranquillement et sans souci et débouchons en 7h au sommet, légèrement fourbus par le poids des sacs.
Grand moment de bonheur au sommet, à se dorer la pilule et pour la première fois contempler les arètes que nous avons déjà tous les deux traversées mais dans le brouillard!
C’est vraiment le pied de pouvoir savourer l’ivresse d’un sommet et ne pas s’enfuir à peine arrivés!
Cette douce béatitude a malheureusement une fin et nous entamons la descente de la voie normale que je connais déjà pour y avoir pris un but avec Jade et Arno. Les rappels s’enchainent jusqu’au Glacier carré.
La désescalade du glacier, en glace sur le haut nous demanderons encore toute notre attention.
Puis nous reprenons les rappels à partir du Pas du chat. En bas nous bifurquons dans les rappels de l’Horreur du Bide, une voie « moderne » que j’avais parcouru peu de temps avant.
En 3h45 nous mettons pied sur le Glacier des Etançons en même temps que les premiers coups de tonnerre et quelques gouttes d’eau!
Nous serons finalement épargnés par l’orage jusqu’à la Bérarde où nous jouissons autour d’une bonne bière de la satisfaction du rêve accompli!