Après une ascension épique de la voie des Suisses aux Courtes quelques jours auparavant, je reviens avec Ben dans ce fabuleux bassin d’Argentière et sa belle exposition de face Nord. Ici c’est un peu comme au glacier Noir dans les Ecrins (la fréquentation en plus) : l’ambiance haute montagne est grisante!
Cette face Nord des Droites, une des plus connues des Alpes, attire comme les Jorasses les alpinistes du monde entier. Si cette ascension est aujourd’hui devenue somme toute relativement classique, sa première ascension en 5 jours de septembre 1955 par P. Cornuau et M. Davaille fut une des grands moments de l’Odysée alpine! A remettre dans le contexte matériel de l’époque bien entendu : un seul piolet (droit en plus), pas de pointes avant, pas de broches… Les pentes de glace étaient vaincues en taillant des marches…
Aujourd’hui, armés de deux piolets traction, de crampons 12 pointes, de broches à glace, et lorsque les conditions sont bonnes, la face Nord est régulièrement gravie « à la première benne », c’est-à-dire que les prétendants partent de Chamonix le matin et y redorment le soir!
Comme on aime les sacs bien lourd et l’imprégnation, on opte pour un bivouac au pied de la face Nord des Droites (pas trop prêt non plus). On se charge en plus de nos skis qui ont l’immense avantage de nous faire gagner beaucoup de temps et d’énergie sur l’approche et le retour par la Mer de Glace mais l’inconvénient d’alourdir nos sacs dans la voie et nous faire grimper en chaussures de ski.
Le pied de la face s’atteint par une impressionnante traversée sous la Verte, la Grande Rocheuse et les Droites. Pas trop traîner dans ce coin et guetter les séracs qui menacent!
L’ambiance au bivouac est bien prenante. Dur d’oublier ce pourquoi nous sommes là! Ce bout de mur de 1000m en impose. Pour chasser les angoisses, rien de tel qu’un bon coup de lime, sur les crampons.
Départ à la fraîche le matin. Juste avant la rimaye je perds une peau suivi de peu par mon bâton en voulant rattraper la peau. Tant pis on verra ça quand on reviendra chercher le bivouac!
On attaque corde tendue les premières pentes et la banane Messner en bonnes conditions. En haut de la banane, Ben fait relais pour que je passe devant.
Je repars dans la grande pente en neige pas très consistante au début. Je préfère bétonner ce passage pas très dur mais exposé. C’est ce moment que choisit la cordée de germaniques qui nous talonnais pour tenter un dépassement un peu bourrin! Je les laisse passer puis finalement on les rattrapera peu de temps après dans la pente de glace!
Bon fumage de mollet dans ces pentes en glace. C’est pas du polystyrène mais on avance bien.
Ensuite c’est la grande classe : la face se redresse et l’on grimpe sur des placages de glace bien protégeables avec quelques petits passages de mixte.
Au dessus de grands rideaux de glace bien cassante nous occupent un petit bout de l’après midi. Jamais extrême mais jamais complètement rando non plus.
Tout baigne jusque là, il est 15h et on avance bien. Il nous reste un peu de glace et la pente de neige terminale.
Sauf que cette maudite pente nous prendra bien deux heures! Gros brassage dans de la semoule de premier choix! On sort passablement éreintés à la brèche mais heureux d’être venu au bout de ce délice glacé.
Cordée bien heureuse bien que d’une dentition pas toujours irréprochable!!!
Allez c’est pas qu’on s’embête ici mais y commence à se faire faim, et on est pas tout à fait rendu.
La descente en rappels-désescalades bien efficace nous dépose quelques temps plus tard sur le glacier. Là on comprend enfin l’utilité de ces deux lattes qu’on trimballe depuis le matin. On se laisse glisser jusqu’au bas de la mer de glace avec les dernières lueurs du jour. Quelques (nombreux) déchaussages – raclages – portages de ski, on s’échoue à Chamonix à 23h devant un sandwich monstrueux.
Mes mains sont insensibles depuis un bon moment. Je n’y ai pas trop prêté attention pendant l’ascension….
Bien fatigué, je m’endors en remettant ce problème au lendemain (grossière erreur!). Le lendemain au réveil, aucune amélioration. Et crétin que je suis, je vais encore attendre 24 heures de plus avant d’aller enfin aux urgences à Briançon. Mais c’est déjà trop tard pour agir efficacement… Les premières heures sont les plus importantes pour les gelures. Un réchauffement rapide est très douloureux mais occasionne moins de séquelles qu’un réchauffement lent qui entraine la mort des cellules.
10 jours de doute, en attendant de connaître la vrai ampleur de ces gelures. Avis partagé des médecins. Finalement je m’en sortirai avec un bon second dégré et pansements gras pendant un mois. Deux ans après, je n’ai quasiment pas de séquelles excepté un petit doigt (le plus touché) régulièrement insensible et une sensibilité accrue au froid!
Quelques précautions de base m’aurait permis d’éviter ça : des bons gants, une meilleure hydratation, enlever les dragonnes des piolets et surtout ne pas laisser le froid s’insinuer et prendre le temps de se réchauffer régulièrement. Comme j’étais pas frileux, je me croyais vraiment à l’abri! Quel orgueil. Une bonne leçon…