Que faire par ces temps de canicule extrême… Glander au bord d’une piscine? Boire des mojitos sous la pergola toute la nuit en écoutant du reggae? Se mettre la tête dans le frigo?
Après avoir essayé toutes ces options dans le sud, je propose à l’arrache une dernière alternative à Ju, alias Pépouze Herzog, pour fuir cette maudite chaleur qui ramollit nos corps et liquéfie nos cerveaux (à moins que ce soit l’inverse) : si on allait grimper au frais?
Évidemment le frais faut aller le chercher : alors prenons ce qu’on a de plus haut dans le coin, de plus nord et de plus caillouteux, éliminons ce qu’on a déjà fait ou pas envie de faire et il nous reste : la Devies Gervasutti à l’Ailefroide Occidentale. L’Ailefroide Occidentale c’est nos Jorasses locales, 1100m de face avec une fréquentation quasi anecdotique. La Devies Gervasutti, comme son nom ne l’indique pas, a surtout été ouverte par Giusto Gervasutti qui a tout fait tête avec une côté cassé au cours de l’approche. N’est pas Fortissimo qui veut. C’était en 1936. Les alpinistes grimpaient en espadrilles, posaient des pitons et dormaient dans des sacs Zdarsky, un sac enduit de caoutchouc, où l’on transpirait puis gelait. C’était la minute historique.
Pour ce trip improvisé, nous sommes obligé de trouver une logistique adaptée à nos emplois du temps… Comme j’étais censé bosser juste après coté Bérarde (finalement annulé), j’opte pour un départ de là. Ju lui doit bosser aussi juste après mais côté Ailefroide… On se donne donc rencard à Temple Ecrins comme ça tout le monde il est content! Approche plus longue pour Ju mais il n’aura pas à refranchir de col pour rentrer à la maison!
Comme on est en 2015, on dispose : de matériel léger et performant, de camalots, de pitons déjà en place ainsi que nombreuses informations issues des réseaux numériques communautaires… Bref, nous on va pas geler dans un sac Zdarsky!! En plus Ju bosse le lendemain donc l’optique c’est montée-descente et dodo à la maison.
Départ 3h du refuge. Il y a 3 ans, on partait de là aussi pour gravir le Pilier des Temps Maudits. On connaît donc l’approche et l’attaque… du moins théoriquement! L’approche évidemment est un peu plus sèche qu’en mars 2012… l’avantage c’est que la bonne mobilité du terrain tient éveillé!
4h30 : je m’élance de la rimaye fin motivé vers ce qui sera la première erreur d’itinéraire du jour!! Attaque trop à gauche et je me retrouve rapidement dans un dièdre tout lisse avec du V+ au programme qui me rappelle pas grand chose!! Le temps de s’en convaincre, de désescalader et de retrouver le droit chemin, on y lâche une petite demi-heure… De bon matin ça énerve!
Le socle dalleux qui nous avait occupé 3h en hiver avec les crampons est expédié en une demi-heure en une grande tirée de corde tendue… Ju prend le relais ensuite pour passer le couloir (au niveau de la cascade) et les rochers qui mènent au pied des fissures en V.
L’escalade est moins difficile que ce que l’on pensait du coup on parcours ces sections en corde tendue avec de temps en temps une minitraxion pour que le second ne tire pas le premier en cas de chute… Du coup en une grande longueur je tire quasiment jusqu’à la fin de la Tour Rouge. Ca avance!
Fin de la Tour Rouge sur du beau caillou (rouge) et arrivée au pied des Dalles grises (grises), le passage clé de la voie. Pas de chutes de pierres à déclarer ce jour là. Et les dalles sont certainement bien moins mouillées que ce qu’elles peuvent l’être!
On fait une première longueur de 60m quasi tout droit en franchissant le surplomb (qui est 4-5m au dessus à gauche de Ju sur la photo). Un poil de 6a sur des dalles poussiéreuses. Bien qu’en second, je me demande ce que font les chaussons au fond de mon sac! L’itinéraire classique selon le topo suivrait plutôt le surplomb vers la droite.
De notre relais je rejoins facilement l’itinéraire entre deux toits. C’est beaucoup moins dalleux et l’itinéraire est plus logique, tellement plus logique que je pars dans une variante qui sera sûrement le passage clé du jour (6b) à 2m d’une rampe plus tranquille…
Bref un passage des dalles un peu cafouilleux où on lâche une petite demi-heure en fourvoyages…
Ensuite l’itinéraire est limpide : la vire en arc de cercle d’abord, pas trop raide heureusement car se déroulant sur un rocher d’une parfaite putridité.
Suit la succession de deux couloirs/cheminées. Les répétiteurs conseillent d’éviter le fond du premier couloir en passant par le pilier à droite. Après une mure absence de réflexion, nous sommes passés dans le couloir. Bien que n’ayant pas suivi le conseil, nous le prodiguons à notre tour : passez à droite! Si comme nous vous avez de l’attirance pour les obscures cheminées de l’Oisans, ne vous ruez quand même pas trop sur les pitons qui s’y trouvent, on les enlève à la main!
Deuxième couloir au dessus suivi également par son fond pour récupérer une sorte de grande rampe ascendante qui ramène vers la gauche… On passe le petit nez rocheux décrit dans le topo avant de se lancer dans les cheminées de sortie. Je relaye Ju pour une grande longueur de corde tendue qui va nous mener jusqu’au sommet.
Il est un peu moins de 11h quand on s’affale au soleil sur l’arête sommitale. Bon déroulage! Mais on sent quand même la fatigue… Une bonne demi-heure de pause au soleil pour déguster et passer quelques coups de fils professionnels!!
Pour la suite, on a opté pour la descente par la voie normale de l’Ailefroide Occidentale pour éviter de faire des rappels. Comme la voie sort sur une antécime (ouh la honte!), il nous faut d’abord traverser jusqu’au sommet de l’Ailefroide Occidentale. Ca prend une bonne demi-heure. Bien sympathique de sortir de l’austérité de la face et de se promener en plein soleil après ces heures dans l’ombre!
La descente par la voie normale est une bonne occasion de réveiller le chamois qui sommeille en nous. Cette option est rapide pour ceux qui affectionnent l’Oisans mouvant! Environ 45 minutes du sommet à la rimaye (façon de parler vu ce qu’il en reste).
Ici se séparent nos chemins… C’est quand même curieux d’abandonner son compagnon de cordée en pleine montagne!!
Ju n’a « plus qu’à » descendre… De mon côté, j’ai opté pour le passage du col d’Ailefroide sans trop d’infos. Il me faut d’abord remonter 250m (neige et glace) jusqu’au col. Du col je fais un rappel de 25m (2 pitons) d’où je peux ensuite désescalader dans ce que le grand Oisans offre de meilleur, le rocher assurant la permanente mobilité du grimpeur! Possibilité de descendre sans désescalade en 2 rappels de 40m…
Pour rejoindre le Glacier de la Pilatte, (vers 2760m), l’amour du rocher est indispensable. Environ 500m d’éboulis de blocs moyens. Je commence à rêver de pâtes et de boissons fraîches (ou de mojitos au bord d’une piscine en écoutant du reggae, la boucle est bouclée!). C’est pas la relâche. Descente du glacier et remontée des câbles… Vers 15h30 je suis à la Pilatte, le téléphone sonne, c’est Ju qui vient d’arriver à Ailefroide! Synchro les gars! Enfin lui il a plus qu’à appuyer sur l’accélérateur de sa bagnole, moi je suis pas tout à fait rendu…
La petite équipe du refuge est toujours aussi sympathique. Je me pose un bon moment le temps de me refaire la nouille (devant un bon plat de nouilles justement) et de profiter du piano… Le panard.
Je descend en dormant jusqu’à la Bérarde. Au plan du Carrelet, je ne résiste pas l’appel des verts pâturages. La sieste s’impose. Au pied de la face gravie ce jour. Ou hier. Enfin à ce moment je ne sais plus trop ça devient confus tout ça!!
Fin de la journée par une bonne session bagnole pour rentrer au bercail (4h de route, tunnel du Chambon oblige)… où j’arrive à minuit avec la marque du volant sur le front à force de faire des siestes tous les quart d’heure sur le final!
Tu m énerves avec tes pas d aventure
trop fière de toi mon frérot ! t’es trop fort !
bisou
la Dévies-Gervasutti à l’Ailefroide occidentale gravit en réversible avec Mistophe Croulin depuis le pré de mémé en 17 heures aller retour. page,197 de Solos éditions Guerin …