Et voilà ! Ce qui devait arriver arriva : après un beau passage perturbé et un violent anticyclone, les faces nord sont en conditions. Classique créneau du mois d’octobre que nous sommes nombreux à guetter…
Ayant eu vent d’une répétition de la voie Bonatti en face Nord du Cervin, apparemment en bonnes conditions, l’idée de gravir le Cervin par la voie historique des frères Schmidt n’a pas mis longtemps à germer dans mon petit esprit d’alpiniste tourmenté… Le créneau semble se maintenir plusieurs jours encore… Un petit message à Jibé qui guide un client au Mont-Blanc le we : « Rappelles dès que tu peux, j’ai un projet qui devrait te plaire! » et en attendant sa réponse, je pars à la collecte d’informations sur cette voie. Après quelques recherches peu fructueuses coup de bol! Des connaissances viennent de parcourir l’itinéraire… Un coup de fil et nous voilà armés d’un topo bien détaillés et plein de bons conseils !
Jibé descendu de son Mont-Blanc ne met pas plus d’une demi seconde à s’enthousiasmer pour le projet. Affaire conclue, on part au Cervin !
Pour l’approche, nous faisons l’impasse sur la richissime capitale de l’alpinisme Suisse et ses nombreuses remontées mécaniques : Zermatt. Rouler 5h, payer un parking, prendre un taxi, monter dans une benne à 50€… Tout cela est beaucoup trop pour nous modestes haut alpins. N’existe-t-il pas un autre moyen de rejoindre la Hornlihütte ? Après quelques recherches, une option bien plus convenable nous apparaît : nous partirons côté italien par le Valtournenche depuis la station de Breuil-Cervinia, nous rejoindrons le bivouac Bossi au pied de l’arête de Furggen et par une grande traversée sous la face est du Cervin nous joindrons la Hornlihütte…. 4h de marche au programme contre 1h côté Zermatt mais 4h de route économisée aller retour, c’est pas mal !
Nous voilà donc en début d’après midi au pied de la face sud du Cervin, probablement un des plus esthétique tas de caillou des Alpes et du monde, un des plus connus en tous cas c’est sur : Paramount pictures et Toblerone n’y sont pas pour rien !
Cette pyramide parfaite, élancée, bien individualisée au milieu des sommets du Valais domine toutes les Alpes… Le Cervin illumine par sa beauté. Malheureusement cette beauté dissimule un terrible secret : dès lors qu’on y regarde d’un peu près, on se rend compte que les dieux du beau rocher ne se sont pas penchés sur le berceau de cette montagne. Les finitions ont été bâclées. Dommage ! Mais voilà au moins un sommet qui fait ensuite apprécier les courses sauvages des Ecrins…
En 3h de ballade nous gagnons le col de Furggen et par un petit bout d’arête facile le bivouac Bossi au pied de l’arête de Furggen ou Furggengratt comme qui disent ceux de là bas. Cette arête est la plus difficile des quatres arêtes du Cervin. A tel point que pour résoudre ce « problème », la partie haute a été d’abord descendu en rappel avant d’être remontée par les premiers ascensionnistes…
En allant vers le bivouac Bossi, j’échappe de peu à une tragédie, cocasse certes mais non moins tragique. Alors que nous sommes tout proche du bivouac, sur une arête très facile mais bordée par deux précipices, nous repérons un chamois quelques mètres devant nous en plein sur l’arête. Il ne semble pas très vif le bestiau. Nous continuons à avancer vers lui pensant qu’il finira par détaler comme tous les animaux de cette race, on y prête guère d’attention. Jibé reste sur l’arête tandis que je passe en contrebas pour m’éviter un facile pas d’escalade (feignant en plus). Soudain dans mon champ de vision apparaît un élément insolite. Je ne mets que peu de temps à comprendre qu’il s’agit du chamois, qu’il n’a plus de contact avec la terre ferme et que sa trajectoire en quasi chute libre imposée par l’implacable loi de la gravité de Newton croise la mienne au point exact où je me trouve. Je vais pas me prendre un chamois sur la gueule quand même ! Dans un réflexe animal je fais un grand bond de cabri pour éviter le kamikaze qui percute une fois ou deux le rocher et finit par se rétablir avec visiblement une patte HS. Il finira sa fuite désordonnée dans le précipice, j’espère qu’il est mort sur le coup ! Quand à moi, je suis bien heureux que ma vie ne ce soit pas achevée dans ces conditions. C’eût été original comme fin mais une fin quand même…
Pour rejoindre la Hornlihütte, nous descendons une courte pente de glace à 45° sur 50m et prenons pied sur la partie haute du Furgggletscher. Aucune difficulté jusqu’à la cabane du Hornli mais une exposition maximale au sérac de la face est pendant une minute (en courant)…
Nous arrivons à la cabane en passant d’abord par le camping. Beaucoup de monde bivouaque. Je dis à JB : « Franchement, les gens qui bivouaque à côté d’un refuge non gardé, moi j’applaudis! ». Nous ne tarderons pas à comprendre pourquoi tout le monde à son duvet et son tapis de sol…
Par ces belles conditions, il y a du monde à la cabane… nous nous installons dehors pour cuisiner les bons petits plats que l’on a acheté dans une supérette italienne… Horreur ! Chaque portion demande 15min de cuisson et 500ml d’eau… On est parti avec très peu de gaz et il n’y a pas d’eau autour du refuge ! Il y a plus approprié comme nourriture… A force de laisser tremper, notre tambouille devient comestible. Les deux suisses-allemands qui mangent d’appétissantes saucisses juste à côté de nous rigolent en voyant nos grimaces…
Un camarade de promotion descend de la face nord et nous apporte des infos de toute première fraicheur et un peu de gaz. C’est tout bon ! Merci Guillaume et bravo pour la trilogie.
Au moment d’aller se coucher, nous comprenons que la Hornlihütte si elle brasse des milliers de personnes (et de k€) en été est très spartiate et dégueulasse hors saison. Bien qu’en début de saison non gardée, un gros tas de détritus s’entasse déjà dans un coin du refuge. Le local d’hiver est conçu pour 15 personnes, 15 matelas, 15 couvertures par une de plus ! Donc une place pour les 15 premiers, après c’est le plancher et la tête sur le sac… Evidemment tout est réservé depuis belle lurette. Nous voilà bien cons ! Par un grand coup de bol et une très noble attention de la part de deux alpinistes grecs avec qui nous avions sympathisé nous obtenons un matelas et une couverture pour nous deux. La nuit va être torride !
2h : « hein ? qu’est-ce qui se passe ? C’est quoi ce bordel ? Ah putain pas la lampe dans les yeux! ». 3 alpinistes mettent un joyeux bordel en cherchant leurs affaires aux quatre coins du refuge à grand coup de frontales.. Sympathique… On avait prévu de se lever « tranquillement » à 3h. Vers 2h30 on craque, c’est trop le bordel. Allez on se lève !
3h05 : zou, c’est parti. Nuit noire, pas de lune. Il ne fait pas froid.
3h40 : on est au pied de la barre qui donne accès au glacier suspendu. La corde fixe bien fine pendouille au dessus de la rimaye dans un mur vertical de 10m. Pas très engageant. On se bouscule pas pour attaquer. Finalement c’est Jibé qui s’y colle !
Après ces 10m, on traverse sur la droite puis on remonte 80m à 50° à glace avant de prendre pied sur le glacier. On traverse un long moment sous la face nord quasiment jusqu’au départ de la voie Bonatti avant de revenir sur la gauche. Ce large crochet est rendu obligatoire du fait de la présence de grosses mémères dont les glaciers suisses ont le secret.
4h50 : nous passons la rimaye pour attaquer les 300m de pentes qui débutent la voie. Les conditions sont bonnes : neige polystyrène, bonne trace, nous évoluons rapidement jusqu’au pied de la rampe. Grâce aux indications que nous avons, nous savons qu’il ne faut pas s’engager tout de suite dans la rampe mais traverser d’abord 25m puis monter en direction de la rampe. Nous tirons à corde tendue dans la rampe sur environ 100m.
L’escalade dans cette goulotte de glace n’est pas difficile dans ces conditions. Quand c’est sec ça doit pas être la même ! Pitons et relais par ci par là. Jibé prend le relais dans le haut de la rampe après avoir traversé une partie sèche, on quitte la rampe qui se raidit et s’assèche (relais au milieu).
Je pars en traversée vers une épaule de neige où il y a un piton puis continue de traverser avant de remonter droit dans une goulotte avec un passage de mixte au milieu et à la fin. Un relais m’attend, c’est parfait. Grande longueur de 80m. J’ai la lambada dans la tête, ça craint.
Du relais on a une très belle vue sur l’échappatoire qui mène à la cabane Solvay. Le bas est en excellentes conditions mais le haut est tout sec. Une cordée s’est fait treuillée il y a deux jours en voulant s’échapper. Peut être un échappatoire plus difficile que la voie?
Jibé repart en traversée horizontale sur 20m avant de monter droit jusqu’au pied de la cascade de glace. Avant d’arriver au relais, 3m de mixte pimente un peu la longueur.
Encore une belle longueur de 75m ! On avance bien, ne rencontrant aucune difficulté notable. On s’attend toujours à tomber sur un os… je pars dans la cascade avec un court passage presque vertical. Lorsque la cascade devient fragile, je traverse à l’horizontale à droite sur 30m. Relais en bout de corde (50m) mais toujours pas de grosses difficultés. Tant mieux !
L’ambiance face Nord est au rendez-vous, le froid en moins.
Ensuite Jib bascule derrière l’éperon qui borde le relais et remonte une large goulotte qui finit en cascade de glace. On s’échappe vers la droite au moment où la goulotte devient cascade par du mixte facile. Relais sur broche.
J’ai toujours la lambada dans la tête. Encore 30m dans des pentes de neige et glace puis débute 150m de louvoiement dans des placages de glace entrecoupés de courts passages rocheux.
On remonte en ascendance vers la droite. Rien de difficile mais il faut bien choisir son passage. On croise deux goujons tout neufs et un sous pull pris dans la glace. Traces d’un secours ? Ensuite nous rejoignons l’arête de Zmutt et le soleil. Nous avalons les 100 derniers mètres de l’arête de Zmutt en cavalant !
13h10 : Yihhah ! Arrivée au Cervin italien pour la première fois pour nous deux ! La joie explose ! On savoure pleinement pendant plus d’une heure le bonheur d’être là haut (seuls!) suspendus au dessus des Alpes. Il fait bon. La vue est exceptionnelle, on voit très bien les Ecrins ! On va quand même jusqu’au Cervin Suisse à 5min de là, plus haut de quelques centimètres.
14h15 : on s’est bien détendu. L’euphorie a laissé place à un sentiment de plénitude. On resterait bien là haut… Je n’ai plus la lambada et je pense à ceux qui me savent ici et qui s’inquiétent surement un peu. J’enverrais bien un petit texto mais le téléphone ne passe pas. quel scandale! La longue descente qui nous attends nous oblige à se reconcentrer. De 4478m jusqu’à la voiture à 2000m, ça nous fait un bout de chemin. Pour la descente, c’est l’arête du Lion qui a notre faveur. Nous ne savons pas du tout si c’est plus court que la Hornli mais ce qui est sur c’est que c’est au soleil, que c’est du côté de la frontière où nous avons la voiture et que si l’on doit redormir en montagne tout mais pas la Hornlihütte! Comme la Hornligratt, la cresta del Leone est très équipée. Dans les parties non équipées, c’est difficile de se perdre, il suffit de chercher les traces de crampons. De toute façon on et jamais bien loin de l’arête. Le plus dur est d’arriver à tenir les cordes fixes, câbles, chaines et échelles qui aident à descendre les passages les plus raides.
16h : nous voilà au refuge Carrel où nous avions envisagé éventuellement de dormir si nous sortions tard. Rien à voir avec la Hornlihütte : le refuge est super clean avec un grand dortoir pour 20 personnes. Moins de 10 personnes ce jour y dorment. Nous faisons une petite pause dans ce lieu exceptionnel suspendu entre la Suisse et l’Italie avec un panorama exceptionnel sur la Dent d’Hérens et le groupe Dent Blanche – Weisshorn… On replonge ensuite sous le refuge dans une nouvelle courte succession de verticaux cordages. Fin des difficultés mais nous sommes à 3700m, la descente est loin d’être terminée. Entre le refuge Carrel et le refuge du Duc des Abruzzes ça ne déroule pas du tout. Eboulis mal calibrés, désescalade facile, chemin caillouteux : on ne peut pas laisser l’esprit vagabonder… On passe prêt d’un glacier suspendu (en état de mort apparente, le malheureux vit ses derniers instants) et le glou glou de l’eau nous rappelle que nous avons très soif. Petite pause soupe d’une demi heure bien regénératrice. Vers 18h30 nous atteignons le refuge du Duc des Abruzzes. Une piste monte jusque là. Secrètement on espère pouvoir faire du stop jusqu’à Breuil… pas de voiture finalement mais encore une heure de marche à bon pas sur un chemin nettement moins exigeant qu’auparavant. On peut mettre le pilote automatique.
19h30 : retour au camp de base, une petite twingo.
19h31 : chaussures sacs et fringues enlevées
20h : pizzeria trouvée
20h05 : bière avalée
20h30 : pizza engloutie
23h15 : Briançon atteint !
Un bien beau voyage dans cette voie historique finalement pas très difficile lorsqu’elle est en bonnes conditions. Attention en cas de sécheresse de certains passages, il ne faut pas trop miser d’espoir dans le caillou ! Merci Jibé et aux divers comparses pour leurs infos.
Et surtout un gros coup de chapeau aux frères Schmidt qui ont ouvert cet itinéraire le 31 et le 1er août 1931 résolvant par là le premier des trois derniers grands « problèmes » des Alpes (face nord des Jorasses, de l’Eiger et du Cervin). Après un bivouac au 2/3 de la face, il sortirent dans la foudre et la tempête avant de redescendre par l’arête du Hornli jusqu’àau bivouac Solvay où lemauvais temps les bloque encore deux jours… Pour donner une idée des bonshommes, il faut savoir qu’ils étaient partis de Münich à vélo avec tout le barda de montagne sur le dos!
very nice trip! tu m’emmènes quand? c’est presque à mi-chemin entre chez toi et chez moi!!
bises
Et ben dis donc . Ca a l’air plus compliqué que sa majesté Môle. Et puis, quel est con ce chamois !
Bravo pour le récit, j’y étais…bien tranquille devant mon Mac book. Bises. Zinzin Reporter